Cecilia Bartoli à Orange, contre vents et marées
Pour le retour des Chorégies d'Orange en 2021 dans un contexte économique difficile, Jean-Louis Grinda, Directeur du festival, a sollicité son réseau le plus proche : pour ce récital italien grand spectacle, il fait appel à l’ensemble des Musiciens du Prince, en résidence à l’Opéra de Monte-Carlo dont il est également Directeur, et à leur fondatrice Cecilia Bartoli, appelée à reprendre les rênes de la maison monégasque en 2023.
Régulièrement en tournée dans des lieux prestigieux, les Musiciens du Prince constituent un orchestre bien rodé, spécialiste du répertoire rossinien en particulier. Cela se ressent sur scène : l’alchimie des pupitres et l’équilibre des timbres sont remarqués, même si les instruments d’époque font davantage mouche sur Haendel et Gluck que sur la musique du film « La Vie est belle » composée par Nicola Piovani. L’entente des musiciens semble presque les dispenser d’observer le chef américain Steven Mercurio, aussi solide que théâtral et dont les nombreux moments de complicité avec Cecilia Bartoli amusent le public.
Le programme de la soirée alterne airs et pièces pour orchestre extraits d’opéra, parmi les plus belles pages de la musique belcantiste (ouverture de La Cenerentola, acte II de Don Pasquale). Le « Viaggio Italiano » évoqué dans le titre du spectacle se poursuit plus tard par des pages progressivement plus contemporaines : l’Intermezzo du Cavalleria Rusticana de Mascagni, la chanson napolitaine, puis Ennio Morricone. Un éclectisme surprenant, peut-être un peu attrape-tout, mais porté par l’enthousiasme contagieux et la constance des musiciens. Tour à tour, harpe, hautbois, mandoline ou trompette viennent le temps d’un solo faire entendre de plus près leur excellence.
À la surprise générale, ce ne sont pas les partitions exigeantes de Rossini et de Donizetti qui posent le plus de difficultés à Cecilia Bartoli et à l’orchestre, mais bien le mistral qui souffle en rafales toute la soirée et donne à la scène de l’Orage de La Cenerentola un à-propos inattendu. La star italienne doit se retenir plusieurs fois de basculer en arrière, ses robes de gala flottant aux vents aux pieds de Steven Mercurio. Le vent s’immisce même au sein du pupitre des percussions, obligeant deux musiciens à maintenir en place la plaque-tonnerre dont la vibration menaçante se fera la toile de fond de la soirée. Conséquence de ces conditions météorologiques extrêmes, orchestre comme chanteuse sont sonorisés, un dispositif forcément décevant qui ne manque pas de provoquer l’ire bien audible de certains spectateurs véhéments du Théâtre Antique.
Ce sont donc des amplificateurs qui transmettent au public la voix de Cecilia Bartoli perdue dans le vent. Sur les répertoires baroque et belcantistes qui ouvrent le récital, la mezzo italienne fait montre de graves faciles, généreux et d’aigus agiles. Les médiums, très riches, regorgent de nuances généreuses, de la pureté réservée de « Lascia la spina » aux ornements extravagants du rondo de La Cenerentola, l’un des airs les plus applaudis de la soirée. Débordante d’énergie, la chanteuse imprime un peu de sa fantaisie virtuose dans chaque staccato (piqué) ou chaque saut de tessiture. La prise de souffle est certes un peu audible sur les premiers airs rossiniens, mais la longueur trouvée ensuite sur l’effrénée tarentelle « Danza » fait rapidement tout oublier.
Au fur et à mesure que le programme du récital s’oriente vers une musique plus récente, moins technique et plus légère, la voix de l’artiste se fait plus facétieuse, enjôleuse et chaleureuse, en particulier sur la chanson napolitaine « Mamma son tanto felice ». La diction est impeccable et la diversité des timbres continue à se faire entendre, sur « O Sole Mio » ou sur l’air « Se » extrait de la BO de Cinema Paradiso. La complicité avec le chef Steven Mercurio et le public permet de faire oublier le vent et la sonorisation. La bonne humeur atteint son comble lors des nombreux rappels, au cours desquels, sous les rires du public, Cecilia Bartoli se livre a une « battle » de virtuosité avec le trompettiste Thibaud Robinne, avant d’enchaîner sur le Summertime de Gershwin. Le public, conquis, ovationne les musiciens et leur réserve une standing ovation.