A l’Opera de Vichy, les “Frères” de retour au bercail
Le concert était prévu sur le parvis du majestueux Opéra de Vichy, comme un point d’orgue musical des festivités locales du 14 juillet. Météo capricieuse oblige, Martin Kubich, le Directeur du lieu, a finalement “rapatrié” le spectacle à l’intérieur de la maison lyrique locale. Un somptueux écrin s’il en est pour un duo d’artistes se présentant sur scène comme il l’avait prévu (qu’importe ce changement de dernière minute), c’est à dire... en moto. Et sur la musique de James Bond, tant qu’à faire. Julien Dran et Jérôme Boutillier au service de sa majesté lyrique, eux qui s’étaient rencontrés en octobre dernier à Limoges, lors des répétitions d’un Faust qui n’a jamais eu lieu (il a été reporté à l’année 2022, et sera aussi donné ici à Vichy), et qui ont depuis noué une amitié à la scène comme à la ville. Amitié et limpide complicité ayant donné lieu à la formation d’un duo, “Frères”, dont le nom dit tout de l’esprit comme de l’essence de la création. Une fraternité comme une fusion de voix et de penchants vertigineux pour l’amour du beau chant, notamment celui ancré dans ce répertoire romantique du XIXème siècle qui constitue précisément le socle du programme ici proposé (comme cela avait été le cas en novembre, notre compte-rendu).
Durant une heure trente s’enchaînent ainsi des airs qui sont autant de réjouissances pour les oreilles comme pour les âmes des amoureux d’art lyrique. De Rossini (Barbier de Séville, Guillaume Tell) à Verdi (La Traviata, Don Carlos), en passant par Bizet (Carmen, Les Pêcheurs de perles) ou Massenet (Hérodiade) et Donizetti (La Fille du Régiment), c’est en effet jour de fête en matière de grands et indémodables classiques, dont les “tubes” se trouvent ici servis par deux voix parfaitement unies par les liens de la musicalité, de la sensibilité, en somme d’un certain sens de l’idéal pour honorer un tel répertoire. Ici complices (duos Almaviva-Figaro, “All’idea di quel metallo”), là ennemis (duo Don José-Escamillo, “Elle avait pour amant”), tantôt graves, exaltés ou amoureux, ce qui revient souvent au même (duos Nadir-Zurga, “Au fond du temple saint”, duo Don Carlos -Rodrigue, “Dieu tu semas dans nos âmes”), Julien Dran et Jérôme Boutillier ne font jamais dans l’économie de moyens sonores, tant leurs voix portent haut et fort avec un même naturel confondant dans la qualité et l’étendue de l’émission. Et si le miroir de la tessiture les sépare, c’est pour mieux refléter entre eux une égale ardeur de timbre, une pareille facilité dans cette capacité à varier les couleurs et les nuances, et une générosité semblable dans l’incarnation vocale autant que gestuelle de leurs divers rôles, que ceux-ci donnent dans la solennité, la gravité ou la légèreté.
Les liens de la fraternité vocale
Quel plus bel hommage à la fraternité, donc, que ce concert qui donne aussi l’occasion aux deux jeunes artistes de briller individuellement, en une forme d’émancipation qui rompt moins le fraternel élan qu’elle ne contribue à en valoriser plus encore la qualité et la préciosité (telles les deux faces d’une même pièce d’or). En Nadir (“Je crois entendre encore”), l’un de ses rôles fétiches, comme en Arnold (“Asile héréditaire”), le ténor de Julien Dran brille de mille feux par l’éclat permanent de son émission, son timbre radieux et la qualité de son legato. Il fait montre de facilité pour passer d’un registre à l’autre, de graves bien appuyés jusqu’à des aigus vaillants émis avec aisance (comme dans l’incontournable “Ah mes amis quel jour de fête”, où l’artiste s’affranchit avec délice de l’épreuve vocale alpestre de la série de contre-ut).
A ses côtés, Jérôme Boutillier brille d’une même lumière solaire. Le timbre est chaud et d’une rondeur exquise, un medium d’argent constituant comme le socle d’une voix s’étirant avec une égale facilité vers des graves ardents ou des aigus radieux. De Guillaume Tell (“Sois immobile”) à Hérode (“Vision fugitive”) en passant par Germont (“Di Provenza”), les rôles sont endossés, pour ne pas dire habités, avec une pleine conviction vocale et expressive qui convainquent pleinement l’auditoire.
Un réjouissant moment de fraternité vocale, donc, dont l’intensité des liens tient aussi beaucoup à la présence d’un troisième frère, Mathieu Pordoy, pianiste qui démontre un remarquable sens de la technique et de la musicalité tout en restant au service de voix qui s’en trouvent d’autant plus magnifiées. C’est ainsi trois artistes complets, et accomplis, qui se trouvent chaleureusement applaudis par un public qui espère bien que, parce qu’ils sont nés ici et qu’il y ont désormais un peu grandi, ces “Frères” reviendront bien vite dans cette ville thermale qui est un peu la leur.