Ticket Gagnant avec Le 66 ! pour Les Bouffes de Bru Zane au Festival d’Avignon
Le Festival d’Avignon, in et off a bien lieu et mêle à nouveau les formes, avec notamment cette opérette d’Offenbach produite par le Palazzetto Bru Zane et qui prendra ensuite la route à travers le pays. L’action se déroule au XIXème siècle : deux jeunes amoureux, tous deux tyroliens, Frantz et Grittly sont en route vers Strasbourg afin de porter secours à la sœur de Grittly. En chemin, Frantz confie à la jeune fille qu’il a acheté un ticket de loterie portant le numéro 66. Croisant un colporteur qui leur assure qu’il s’agit du ticket gagnant, Frantz se réjouit de sa nouvelle fortune. Grittly, suspicieuse, tente de convaincre son bien-aimé qu’il s’agit en fait d’un piège.
La mise en scène de Victoria Duhamel illustre l’intrigue avec légèreté et limpidité, le spectateur s’attachant à ce duo en suivant cette histoire claire et remplie de références (notamment faustiennes). Armé d’un mégaphone, le baryton Paul-Alexandre Dubois se fait même chauffeur de salle, présentant les personnages. Le public est également invité à participer activement afin de faire avancer le cours de l’histoire (le pianiste Martin Surot pioche au hasard un numéro dans un bocal, le gagnant étant sélectionné d’après le numéro de son siège et contribuant à l'intrigue en résolvant un problème mathématique, et lisant même dans les pensées des personnages). Mélangeant contexte de l’époque et vocabulaire moderne, le côté décalé et déjanté provoque les fous-rires dans la salle. Malgré un espace minimaliste, les décors simples, conçus par Guillemine Burin des Roziers, sont mis en valeur par l’animation scénique ainsi que les lumières attrayantes programmées par Félix Bataillou.
Côté musique, le burlesque et l’excentricité d’Offenbach jouent jusque dans les moindres détails. L’effectif concentré en trois musiciens (dans un arrangement signé François Bernard) met en valeur la distribution vocale tout en participant allègrement à l’intrigue et à la mise en scène. Rozenn Le Trionnaire à la clarinette, Lucas Perruchon au trombone et Martin Surot au piano sont aussi de la partie pour les chorégraphies, chantent quelques phrases, et s’expriment globalement avec dynamisme.
Le naïf et intrépide tyrolien Frantz est joué avec toute la candeur (mais aussi le brillant) du personnage par le ténor Flannan Obé. Le jeu théâtral est comique à souhait, exagérant émotions et mouvements à l’unisson, mais enrichissant son interprétation vocale d'un caractère sensible. Ses lignes, soulignées par une voix claire et droite, sont maîtrisées, légèrement pincées dans les aigus, expressives et distinctement déclamées. Il porte une grande attention à donner du sens en nuançant le texte.
À ses côtés, son amoureuse, la jeune tyrolienne Grittly, interprétée par la soprano Lara Neumann est volontairement plus humble (répondant aux enjeux de son personnage). Affirmée et confiante, elle fait preuve d’un jeu convaincant et cohérent, soutenant celui de son partenaire de scène. Le timbre mélodieux, doté d’un léger vibrato, est bien nourri et orné, la jeune chanteuse le déployant avec facilité sur des phrases homogènes et gracieuses. L'ambitus et la matière vocale sont assez larges pour se déployer depuis des graves voluptueux vers de justes aigus.
Enfin, dans le rôle du maître de cérémonie puis du colporteur Joseph Berthold, le baryton Paul-Alexandre Dubois se montre actif et dégage un fort charisme scénique et vocal. Dans son caractère à la fois mystérieux et mesquin, il s’impose par une voix dynamique, résonnante et caverneuse. Cependant, le chanteur semble parfois se retenir un peu vocalement dans les ensembles, provoquant un manque de relief.
La première de cette œuvre encore trop méconnue rencontre un grand succès public, avec cette alliance de caractères tonique, frais et abondamment comique, pour petits et grands.