Harawi ? Oh oui ! à l’Opéra de Limoges
Dans le cadre de son Festival « Que reste-t-il de nos beaux jours », l’Opéra de Limoges propose un récital-installation, Harawi - Chant d’amour et de mort. Le cycle pour soprano et piano d’Olivier Messiaen (1908-1992) s'appuie sur un texte en douze parties inspiré du Yarawi (« chant d’amour triste ») péruvien, narrant un amour passionné qui s’achève par la mort des deux amants. Cette œuvre de 1945 constitue pour Messiaen la première partie d’une « Trilogie de Tristan et Yseult » (où elle précède la Turangalîla-Symphonie et les Cinq rechants de 1948).
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (de la Compagnie Le Lab) sont les concepteurs et réalisateurs de ce spectacle qui relève donc le défi de porter sur la scène des œuvres conçues comme du théâtre mental, censées générer un visuel par leurs moyens propres (poésie, musique, chant).
Loin de sombrer dans un illustratif appauvrissant ou de détourner le propos, le spectacle se concentre sur la poésie par une proposition scénique de type immersif. Le piano, au centre gauche de la scène, est inclus dans une forêt de torches lumineuses, qui distillent au fil du cycle des couleurs diverses (bleu, vert, violet, etc.), en accord avec la théorie synesthésique défendue par Messiaen dans son Traité de Rythme, de Couleur et d'Ornithologie (lui qui associait des sons et couleurs : Mi bémol-vert, par exemple). Aucun ‘‘surtitre’’ ne vient distraire le regard de l’immersion polysensorielle proposée, très raffinée de la scène, conçue comme l’écrin dynamique du déploiement sonore.
La chanteuse évolue dans cette forêt, dans un parcours chorégraphié par la subtile et inventive Lodie Kardouss, qui, à l’instar du Lab, conçoit manifestement toutes ses propositions dans la perspective de révéler au mieux la musique. Les moments où le mouvement des corps fait écho à l’énergie musicale, articulant les gestes pianistiques et les mouvements de la chanteuse, ainsi que les images où la pianiste et la chanteuse produisent en plus du son, un ‘‘duo visuel’’ quasi suspendu, sobre et intense, sont d’une grande force poétique. La pianiste et la chanteuse sont vêtues sobrement de longues robes blanches et neutres (Thibaut Welchlin). Le dispositif lumineux du Lab est complété par les éclairages en demi teintes de Rick Martin.
Selon Messiaen lui-même, « Dans Harawi, il y a du théâtre en miniature, de grandes recherches rythmiques, une grande quantité d'accords et de sonorités non classées, la poursuite d'une ligne vocale et mélodique simple, chantante, avec ses cadences mélodiques propres. Il y a enfin, et c'est cela seulement qui importe, un grand cri d'amour ». Marie Vermeulin, pianiste inventive et énergique sait déployer cette partition qui requiert de la simplicité (intime), du lyrisme, de l’énergie parfois frénétique (percussive), et un grand engagement physique, dans un rapport souvent en accord avec la voix, mais parfois dans une sorte de lutte. Avec Marie Vermeulin, les dynamiques, dans toute l’échelle possible, habitent l’espace poétique de la scène et les couleurs, de la douceur à l’âpreté, et résonnent efficacement en phase avec le parti pris du Lab.
Élodie Hache possède une voix corsée, ample et sonore. La soprano se livre à une véritable performance (50 minutes de chant, à elle seule, avec mise en scène). Elle se déplace avec une grâce toute musicale, une présence très dense, articulant les diverses pièces du cycle, dans un parcours scénique continu. La voix très lyrique est aussi soucieuse du texte et des mille images poétiques que la musique lui confère, usant d’une panoplie très variée car en plus du texte français, d’une inspiration surréaliste revendiquée (« Bonjour toi, colombe verte, / Retour du ciel / Bonjour toi perle limpide, / Départ de l’eau. / Étoile enchaînée, / Ombre partagée, / Toi, de fleur, de fruit, de ciel et d’eau, / Chant des oiseaux. / Bonjour, / D’eau. »), Messiaen utilise également dans Harawi des mots du dialecte quechua, non pour leur sens, mais pour leurs sonorités.
Le chant est très sonore, sur toute la tessiture, des graves, poitrinés avec sobriété et efficacité à l’occasion, avec un médium très solide, jusqu’à un aigu vaillant, ou décliné sur toute la palette dynamique. L’œuvre invite à une multiplicité de nuances et Élodie Hache sait utiliser les intensités faibles, ne confondant pas le piano avec le pianississimo, pleinement maîtrisés. Le pianissimo a ceci de particulier qu’il déploie de la lumière et irradie l’espace sonore, parfaitement à propos dans ce projet poétique, ce chatoiement de couleurs et de nuances faisant écho à la subtilité des couleurs du dispositif lumineux.
"Donner à voir ce que l’on entend" semble avoir guidé toute cette expérimentation, où les artistes savent montrer combien ils ont su, s’imprégnant du climat poétique distillé par Le Lab, aller plus avant encore dans leur engagement interprétatif.
Le public, peu nombreux, hélas, manifeste son enthousiasme pour cet Harawi, bijou-poème qui enchante les sens et rend hautement justice à cette œuvre.