Rare David et Jonathas pour le concert d’au revoir d’Olivier Schneebeli
C’est avec une œuvre rarement interprétée que le chef de chœur et d’orchestre Olivier Schneebeli a souhaité fêter son départ à la retraite, après trois décennies de direction artistique et pédagogique au Centre de musique baroque de Versailles. Dans le superbe écrin qu’est l’Opéra Royal de Versailles, c’est donc la tragédie lyrique David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier qui est proposée en version de concert aux spectateurs venus nombreux pour cet événement. Si la volonté du chef et pédagogue est de replacer au plus proche l’œuvre de son contexte de création, il souhaite toutefois épargner aux spectateurs du XXIe siècle les longues tirades de la tragédie en latin Saül du Père Chamillart, professeur au Collège jésuite Louis-le-Grand, malheureusement (ou pas pour les non-latinistes) perdues. Ce sont donc quelques vers, très à propos, extraits de la Paraphrase de la plainte de David sur la mort de Saül et Jonathas d’Antoine Godeau qui introduisent chacun des cinq actes de l’œuvre lyrique : l’occasion d’entendre les talents de récitant du comédien Clément Buonomo mais aussi, et surtout, ceux remarquables des jeunes Pages du CMBV, adolescents élèves des classes à horaires aménagés du Collège Rameau de Versailles.
L’ouverture du Prologue débute sur un coup de tonnerre, l’Orchestre Les Temps Présents débutant alors une partition vivante, d’une clarté et d’un grain de son très baroque, qui aurait encore bénéficié de basses et de parties intermédiaires un peu plus présentes, et parfois plus en place quant à la justesse, afin de donner encore plus de panache et de splendeur. La direction rebondie et engagée d’Olivier Schneebeli, animée au point de paraître parfois un rien agitée, veut donner toute l’impulsion à cette musique qui nécessite beaucoup de relief et particulièrement d’endurance. Le résultat séduit par les ouvertures majestueuses, telle celle du premier acte, moins lors des moments les plus tendres, notamment celui qui introduit l’acte IV et paraît étonnamment long dans un discours qui semble manquer d’une vision plus globale. L’auditeur est également surpris par la fin en suspens de l’acte II, juste avant l’entracte (un choix qui s’explique très certainement par la simple raison que les deux dernières pages du manuscrit sont manquantes et que personne n’a voulu écrire une fin à la place du maître de musique).
La distribution du plateau vocal est aussi intéressante qu'elle le laissait présager, mais avec aussi une grande hétérogénéité de timbres. David Witczak, qui incarne le Roi Saül, est le premier à faire entendre sa riche voix de baryton-basse dans la clarté du texte, essentiel pour la tragédie lyrique française, et à l’agréable présence scénique. En duo, sa présence vocale contraste avec celle de son collègue Clément Debieuvre, haute-contre qui interprète le rôle principal qu’est celui de David. D’abord, sa voix interpelle, avec des aigus qui semblent assez sûrs et assez naturels. Son texte et sa prosodie paraissent conduits avec douceur et délicatesse, soutenus par une assez bonne maîtrise de souffle. Mais déjà, quelques à-coups et tremolo involontaires trahissent un début de fatigue qui progresse au long de la soirée. Ces maladresses vocales se font un peu moins rares et le manque de chaleur de son timbre se fait de plus en plus ressentir.
L’autre haute-contre de la soirée, Jean-François Lombard, qui n’intervient que lors du Prologue pour interpréter la Pythonisse, fait certes entendre un texte intelligible voire agile, mais sa présence scénique reste aussi limitée que sa voix au timbre âpre. Sa prestation convainc également moins par certaines de ses attaques et fin de phrasés forcés.
La taille Jean-François Novelli, en jaloux Joabel, convainc quant à lui grâce à sa présence scénique toujours engagée, son soin de la prononciation et la maîtrise de ses différents timbres, qu’il utilise avec malice selon ses propos, particulièrement dans son air « Dépit jaloux, haine cruelle ». Le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer, en Ombre de Samuel et en Achis, impressionne par la gravité de sa voix impérieuse, semblant venir d’outre-tombe. Il terrifie autant par son chant funeste que par sa présence scénique, peu mobile mais très efficace.
Comme ce fut très probablement le cas lors de la création de l’œuvre, le rôle de Jonathas est confié à une jeune élève de la Maîtrise des Pages du CMBV. Natacha Boucher est donc la talentueuse page choisie pour interpréter cette partie difficile qui demande non seulement de grandes qualités vocales mais également une grande endurance. L'auditoire apprécie ainsi le charme de sa juvénile présence à la voix pleine de fraîcheur, dont l'incarnation scénique un tout petit peu timide et toujours très attentive la rend tout à fait touchante, par exemple dans son air « A-t-on jamais souffert de plus dure peine ». Le spectateur ne peut que saluer bien bas sa connaissance des longs textes et des mélodies, certainement très difficiles à mémoriser contrairement à celles redondantes des airs italiens, qu’elle sait magnifier d’ornements maîtrisés. Néanmoins, face à de tels efforts demandés à une collégienne à une heure si tardive (surtout que son rôle gagne en importance au fur et à mesure que l’intrigue avance), la fatigue se fait patente à partir de l’acte IV avec une justesse devenant très délicate, surtout dans les aigus qui se tendent. Lors de l’acte final, alors que son personnage se meurt, sa voix se fait trop peu audible pour être compréhensible.
Le public est absolument ravi d'admirer le travail extrêmement bien mené des Chantres masculins et des Pages du CMBV qui font d’abord entendre une très belle couleur d’ensemble. Le timbre frais et innocent des adolescents sublime une diction particulièrement soignée, très certainement le fruit de l’exigence passionnée et convaincue d’Olivier Schneebeli. L’expression faciale et leur posture vivante montre combien d’entre eux sont, malgré leurs jeunes âges, tout à fait conscients des conduites musicales que demandent la connaissance et le bon goût. « Courons, courons, pour le triomphe ou le trépas » offre même un effet de stéréophonie, les jeunes et les enfants étant disposés de part et d’autre de la fosse, luttant grâce à un bel effort d’écoute contre les risques de décalage, le tout jusqu'à la fin victorieuse « Chantez victoire, trompettes et tambours ! ».
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Si le chef ne cède pas aux applaudissements du public, dont certains spectateurs debout, notamment parents et professeurs de Pages, c’est parce que Nicolas Bucher, Directeur Général du Centre de musique baroque de Versailles propose, en sixième acte, un discours rendant hommage à la carrière d’Olivier Schneebeli. Il laisse place à Catherine Pégard, Présidente du Château de Versailles, qui lui remet la décoration de Chevalier de la Légion d’Honneur pour avoir défendu et transmis, durant plusieurs décennies, la beauté de la musique baroque française. Le chef répond alors par un discours à son image : empli d’humilité, d’humour et surtout d’esprit.