La Cour d'un Lycée devient un Opéra le temps d'un soir
La cloche du dernier cours a déjà sonné depuis une semaine dans ce Lycée Buffon (dans le XVe arrondissement de Paris) comme dans les autres, et les échos sonores qui éclataient la veille dans cet établissement étaient ceux des réactions face aux résultats du baccalauréat marquant la fin de l'année scolaire. Et pourtant le Lycée Buffon reste ouvert aux émotions, à l'art mais aussi à l'Instruction (une mise en pratique enfin concrète d'un été culturel et apprenant), le bâtiment impressionnant se transformant ce soir en un opéra imaginaire, de plein air : un spectacle à part entière dont le chef est un narrateur-personnage. Le spectacle proposé en ce lycée parisien est en effet un parcours à travers l'histoire de l'Opéra français grâce au choix des différents morceaux au programme et par les explications du chef d'orchestre Jean-Philippe Sarcos. Rendant honneur à ce lieu d'éducation, au programme et à ses musiciens, le chef présente les réjouissances avec l'enthousiasme d'une fibre pédagogique, d'une voix placée et chantante qui explique autant qu'elle annonce les qualités musicales à venir. Ce lycée reste ainsi ce qu'il est de tout temps (un lieu d'émerveillement et de culture), et il devient même ce qu'il pourrait et devrait être : un lieu de spectacle vivant.
Le metteur en espace Olivier Oudiou, en exploitant (dans cette même veine) seulement et pleinement la disposition du lieu et en s'appuyant sur le plein investissement des interprètes, ordonnance un opéra imaginaire où les personnages des différents opus se répondent plus qu'ils ne se suivent, avec des axes forts : les rivalités amoureuses du Faust de Gounod se déplacent simplement à travers la cour en se transposant chez la Carmen de Bizet (résonnant comme ange et démon avec "le dernier sommeil de La Vierge" composé par Massenet). La seconde partie du programme bascule dans la légèreté en la prenant tout autant au sérieux et en poursuivant le fil du spectacle (qui ne se distend qu'avec les derniers morceaux, comme des bis -chansonniers- avant l'heure).
Le trio amoureux incarné par les trois solistes lyriques relie les morceaux et la mise en espace : les couples se séparant et se réunissant devant le public, derrière l'orchestre, dans les recoins et même les hauteurs de cette cour de lycée. De fait, la dramaturgie est centrée sur le personnage féminin qui choisit ses amants, tandis que musicalement, la soirée est entièrement bâtie sur la voix de Kévin Amiel. Le ténor est en effet déjà reconnu sur les grandes scènes lyriques. Il apporte tous ses intenses moyens vocaux et scéniques ce soir, impressionnant fortement le public, mais les mettant aussi en œuvre pour renforcer d'autant l'intensité de ses deux jeunes camardes de plateau (récemment diplômés et qui entament des parcours prometteurs). Kévin Amiel s'impose comme la vedette vocale et la star du lycée. D'un investissement musical et dramatique total du début à la fin, il contribue infiniment à transformer la cour en planches de théâtre pour mieux les enflammer de sa voix rayonnante. Les qualités de projection, de placement, ces aigus dardés éperdus qui jamais ne se perdent, ces sons expirant qui jamais n'expirent, tout continue de rappeler la voix de Roberto Alagna.
La mezzo-soprano Marion Vergez-Pascal entre dans la cour du lycée intimidée à dessein, tirant les pans de sa veste et zigzaguant autour de l'orchestre : illustrant ainsi le caractère de son personnage avec celui des lieux (Siébel qui ferait ses premiers pas dans un nouveau lycée). Le chant est placé sur tout l'ambitus dans la constance d'une nuance entre mezzo forte et mezzo piano, qui devra gagner encore en projection (en long et en large, mais c'est là son seul travers). La jeune chanteuse entre ensuite dans la peau de ses nombreux autres personnages, changeant de robes pour la tenue d'une Carmen rouge fatale avant un déshabillé noir de cocktail. Les couleurs et les suavités vocales resteront à trouver pour compléter la panoplie mais la voix est toujours placée, en rythme.
Le baryton-basse Adrien Fournaison déploie la noblesse de son articulation, modèle de lyrisme classique avec ses r longuement roulés. La voix s'appuie sur des graves sonores et s'élève d'une haute stature. Comme sa collègue, le jeune chanteur gagnera à libérer l'interprétation mais il en a lui aussi, pour ce faire, l'assise technique (prenant donc sa carrière et son parcours dans le bon sens).
La clarté et l'expressivité sont également et pleinement soutenues et portées par le chef et son orchestre du Palais royal sur instruments d’époque. Jean-Philippe Sarcos joint le geste à la parole : la direction est très précise, méticuleuse tout en s'emportant par des coups de baguette qui font voler les pans de sa queue de pie. L'élégance et la fougue résonnent puissamment aux pizzicati des deux contrebasses. Les violoncelles déploient le lyrisme des opéras au programme (et des œuvres de leur grand maître Offenbach), les autres cordes tricotant allègrement. La harpe sonore offre une improvisation soliste très articulée du Plaisir d'amour, le tout comblé par des vents solistes de prime qualité.
L'orchestre offre ainsi une prestation mariant les deux parties du programme et tous les caractères des œuvres : charmant et néanmoins lyrique dans les sérénades, lyrique et néanmoins charmeur dans les drames. L'ensemble Le Palais royal dans le plus petit effectif des orchestres symphoniques déploie les pleines couleurs de ces partitions.
L'opéra résonne ainsi pleinement dans la cour d'un lycée, tourne et s'envole, littéralement et comme une métaphore : celle de la culture qui s'épanouit, retrouve et conserve ses droits, toute l'année, été compris.