La Belle Hélène séduisante mais sans malice au Théâtre des Champs-Élysées
Créée en 1864, La Belle Hélène est un opéra bouffe d'Offenbach, c'est-à-dire traitant d'un sujet comique ou léger. Si à l'époque de sa création, en plein Second Empire, la critique des frivolités de la cour est évidente, l'œuvre demande un éclairage pour conserver toute sa force parodique auprès du public contemporain. C'est pourquoi le metteur en scène Lionel Rougerie a eu « l'ambition de donner vie à La Belle Hélène » afin de faire comprendre que « derrière la frivolité se cachent de plus sérieuses affaires ». Ainsi, si quelques numéros, sans grande importance pour l'intrigue, sont supprimés, les parties parlées sont réécrites avec quelques références d'actualités. De plus, Vénus en personne préside la soirée, avec de longs monologues, notamment en introduction. Le metteur en scène dit anticiper les froncements de sourcils de ceux qui se questionneraient sur la nécessité de réactualiser La Belle Hélène. Pourtant, ce sont surtout les spectateurs mélomanes et amateurs d'esprit qui semblent tiquer ce soir devant davantage de déclamations que de musique, l'humour assez répétitif ne servant nullement la malice qui fait tout le pétillant de cette œuvre.
Heureusement, l'auditoire peut néanmoins compter sur la qualité du plateau vocal. C'est la mezzo-soprano Gaëlle Arquez qui incarne la Belle Hélène avec une voix ronde, aisément projetée et au vibrato bien dosé. Séduisante et soigneuse dans ses lignes mélodiques, elle offre un joli air "Dis-moi, Vénus", quoiqu'il ferait presque même regretter qu'il soit justement trop beau, manquant un peu d'un air revanchard et malicieux, fort du double sens d'une femme tourmentée par les jeux de Vénus et qui veut s'en défendre.
Le Pâris de Cyrille Dubois était sans doute attendu, le public n'en est nullement déçu. Dès son premier air "Au mont Ida", le jeune ténor charme par son timbre brillant, son texte limpide, son beau vibrato et sa capacité à le colorer pour servir le texte et son expression. Il sait également occuper l'espace scénique avec naturel, avant d'offrir un long aigu final de ténor vaillant. L'auditeur est tendrement captivé par le duo du rêve des deux amants, notamment par l'accompagnement orchestral, équilibré et coloré.
Les rois de la Grèce, ainsi que le grand augure de Jupiter (Calchas) partagent tous un plaisir de la scène et de la voix. Calchas est interprété par le baryton Philippe Ermelier dont la projection vocale est naturellement modelée, offrant un texte toujours très compréhensible, autant dans les parties parlées que chantées, communiquant de sa voix impérieuse les traits un peu sournois mais sympathiques de son personnage. Le ténor Éric Huchet sait parfaitement doser l'aspect comique de son jeu, sans exagération gratuite, incarnant ainsi un Roi Ménélas un peu naïf. Son timbre est clair, son texte est également parfaitement compréhensible. Le baryton Marc Barrard incarne quant à lui le Roi Agamemnon, avec une diction soignée, une gravité de la voix qui sied bien à son personnage, imposant et imbu. L'auditoire salue également les deux Ajax, le ténor Sahy Ratia et le baryton Florent Karrer, qui font brièvement entendre de beaux timbres sculptés, ainsi que le ténor Raphaël Brémard qui joue un Achille « bouillant », volontairement exagérément macho et stupide.
Dans les rôles féminins, se déploie particulièrement la présence de la mezzo-soprano Alienor Feix, qui incarne Oreste adolescent avec une jeunesse affirmée, assurée tant scéniquement que vocalement. La « Vénus, au fond de nos âmes » a fort heureusement été gardée pour que la jeune mezzo puisse offrir un petit temps en véritable soliste. Marie Lenormand partage son goût pour la scène en incarnant une servante Bacchis gauche dont se distingue, trop brièvement, l'agréable voix claire de mezzo. Les interventions des sopranos Pauline Texier et Camille Poul sont trop furtives ou mêlées dans les tutti pour en apprécier toutes les qualités vocales.
La prestation de la comédienne Léna Dangréaux en Vénus est séduisante et manipulatrice par sa voix sensuelle, malgré un jeu quelque peu exagéré.
Le plateau brille grâce au soutien de l'Orchestre national de Lille qui sait se montrer très attentif aux équilibres et aux changements de tempi des chanteurs (malgré quelques moments où le risque de décalage se fait entendre). La très active direction d'Alexandre Bloch transmet son énergie et sa volonté de varier les couleurs. Sa battue très ample manque peut-être parfois de précision mais le chef se montre très alerte pour corriger rapidement les éventuels dérapages. Le Chœur de chambre Septentrion fait entendre un très beau son d'ensemble et réussit, malgré son relatif petit effectif, à créer une masse chorale nécessaire dans certains numéros de foule, et ce également malgré les distanciations entre chaque artiste de chœur. Les masques n'aident certainement pas à rendre les consonnes très distinctes, mais l'effort de précision du texte reste patent.
Cette première représentation, en version de concert, fait donc attendre avec curiosité et impatience la version semi-scénique qui sera présentée au Nouveau Siècle à Lille (compte-rendu à suivre sur Ôlyrix). À voir si la proposition de Lionel Rougerie recevra un autre accueil des spectateurs (dont certains au Théâtre des Champs-Elysées, n'hésitèrent pas à partager leur déception lors des saluts).