Jakub Józef Orliński aux Champs-Élysées : Can you Händel it ?
À travers ce titre-jeu de mot (entre le nom du compositeur Händel et le verbe anglais homophone handle signifiant gérer, tenir, assumer) le contre-ténor confie en même temps son inquiétude de parvenir à proposer ce concert déjà reporté (tant de concerts ont été annulés en raison de la crise sanitaire) et son amour pour Haendel largement représenté dans le programme. C’est en terrain connu qu’il aborde la soirée et la scène du Théâtre des Champs-Élysées, s'associant de nouveau avec l’ensemble Il Pomo d'Oro dans un programme d’airs inscrits à son répertoire, certains dans des productions mises en scène (Rinaldo, Unulfo de Rodelinda et Tolomeo) ainsi que deux derniers airs de compositeurs moins connus, Luca Antonio Predieri et Giuseppe Maria Orlandini, extrait de l’album Facce d’Amore. Cet album, ajouté à deux autres, Anima sacra (déjà paru) et Anima Aeterna (programmé pour octobre prochain) confirme sa collaboration régulière avec Il Pomo d'Oro. De nouveau réunis ce soir, les artistes présentent de surcroit un programme rigoureusement structuré suivant une logique implacable : un air lent, un air vif et une pièce instrumentale.
Jakub Józef Orliński apparait comme un artiste sachant créer des ponts entre le monde baroque où il puise l’essentiel de son répertoire et le monde actuel donnant une réelle importance au visuel. Une vidéo vue des millions de fois en ligne ("Vedro con mio diletto" d'Il Giustino de Vivaldi) comme le travail de l’image dans ses clips mettant en valeur son corps athlétique rappellent ses activités conjointes de mannequin et de break-danseur. Il se présente ce soir dans un costume rappelant la couleur des instruments à cordes qui l’accompagnent, se mêlant ainsi aux instrumentistes et mettant en évidence combien l’instrument du chanteur est son corps-même. Toutefois ce sont bien ses talents de chanteur mis à l’honneur qui déclenchent l’approbation du public après chacun de ses airs.
Le récit de Tolomeo "Che piu si tarda omai" débute le concert dans un engagement touchant, le contre-ténor agrémentant le texte de mille nuances. Les airs lents révèlent sa grande sensibilité, sa capacité à nuancer son chant et à faire vivre les longues tenues en messa di voce (son commencé piano et qui s’intensifie jusqu’au forte avant diminuer à nouveau), révélant l’élasticité de son phrasé et la longueur de son souffle. "Cara sposa" atteint un paroxysme expressif avec les longues plaintes de Rinaldo désespéré d’avoir perdu sa bien aimée. Dans une grande stabilité physique, il égrène avec assurance les vocalises des airs de bravoure, privilégiant l’homogénéité à la violence ("Furibondo spira il vento", le vent souffle avec violence). Sans jamais quitter le beau son, il atteint le registre de poitrine pour mettre en valeur la douleur dans l’air du Scipione de Predieri ("Sente all'ora il suo dolor"). Avec humour, il varie même les cadences de sa voix de baryton, déboutonne sa veste avant chaque air virtuose (suscitant les rires du public). Sa voix claire au vibrato restreint renforce son aspect juvénile et c’est avec un grand sourire qu’il affirme sa joie d’être là ce soir, recevant humblement l’ovation de la salle.
L’ensemble Il Pomo d'Oro, sur instruments anciens, apparaît comme un véritable partenaire, rajoutant une couche de dramatisme (Cara posa), renforçant la violence de l’air d’Arsace avec des battues toniques des cordes, ou répondant aux inflexions de la voix. Les instrumentistes talentueux, sous la direction du premier violon Zefira Valova, s’expriment aussi bien en tutti ou en petite formation (Concerto grosso op 1 de Locatelli) qu’en solo (Ciaccona de Brescianello). La vitalité de l’ensemble provoque une réelle envie de danser (Ballo dei Bagatellieri de Matteis), et les liens entre les musiciens sont perceptibles tant l’écoute entre eux est importante.
Le concert s’achève avec trois bis : l’air extrait d’Amadis "Agitato da fiere tempeste", "Chi scherza con amor" de Boretti et la reprise de "Furibondo spira il vento". À la question initiale « Can you Händel it? », les applaudissements du public répondent « Yes! you can! »
Magnifique Jakub Józef Orliński au @TCEOPERA Avec lorchestre baroque Il Pomo dOro. #musique #Paris pic.twitter.com/8ZaIkPtocJ
— ????. ????. (@AmbroiseSolomon) 29 juin 2021