La Clémence de Titus : Intrigues de cour au Palais Garnier
Le metteur en scène Willy Decker mêle costumes du XVIIIe siècle mozartien à une approche symboliste : les personnages portent des couleurs signifiant leurs affinités personnelles et le décor désaxé encadre un imposant buste dont la progressive émergence de son bloc de marbre reflète l’ascension de Titus à sa grandeur auguste.
La scénographie offre de belles images avec une palette de couleur évocatrice des thèmes et personnages : le trône blanc et solitaire de Titus vacille, entouré des roses rouges du bouquet de Bérénice exilée. La direction scénique fait toutefois défaut pour les protagonistes, ces derniers semblant souvent se déplacer sans but dans l’espace, ou prenant des positions mécaniques, sans lien concret avec le lieu qui les entoure. Les adresses sont majoritairement face public, réduisant la force dramatique de certaines scènes : l’incendie du Capitole perd ainsi de sa confusion dynamique et devient étonnamment anecdotique.
Aux interprètes revient alors la tâche de colorer leurs personnages, chacun avec son intelligence et sa sensibilité de jeu propre. Michèle Losier s’illustre dans cet exercice, portant un Sesto frémissant d’émotions contradictoires comme un proche cousin de Cherubino dans ses émois juvéniles. Sa palette de jeu se traduit dans le chant par une grande attention au texte et aux intentions, soulignée par la forme bipartite et contrastée des airs. Son timbre dense est homogène dans les nuances, offrant des fortissimi aigus impressionnants de puissance et des piani touchants d’émotions.
Stanislas de Barbeyrac livre son timbre sombre au tourmenté souverain Titus. Il se révèle particulièrement à l’aise dans les récitatifs où la volonté de dire et de conduire le texte lui donne une assurance scénique qui s’efface parfois au cours des airs au profit de l’émission vocale. Si certains passages piani perdent en qualité et aisance vocale, la voix se libère en aigus puissants, notamment au cours du deuxième acte où le ténor gagne en confiance.
Amanda Majeski campe une Vitellia à la fois digne et acerbe. Elle prend plaisir à plier sa voix intense et brillante aux caprices de son personnage, crachant presque le nom de Bérénice tout en conservant une ligne vocale contrôlée, notamment dans l’articulation des vocalises. À l’instar de son Sesto, elle démontre une grande flexibilité de jeu dans l’expression des tourments de Vitellia, affirmée lors de son air final “Non più di fiori vaghe catene”, paroxysme vocal où les aigus retrouvent leur profondeur et leur aisance.
La mezzo-soprano Jeanne Ireland habille Annio d’une voix à la fois juvénile dans sa légèreté d’articulation vocale et mature par son timbre profond, offrant ici encore une traduction vocale des dilemmes que traverse son personnage. Elle se démarque par une homogénéité dans tous les registres, y compris dans la fluidité des vocalises, et une puissance vocale aisée.
Anna El-Khashem souligne la touchante naïveté de Servilia par sa voix fraîche et délicate, offrant un beau contrepoint aux autres voix féminines. Elle fait montre d’une excellente diction italienne et d’une sensibilité de nuances dans son chant qui rend son aveu d’amour devant Titus singulièrement poignant. Si elle tombe parfois dans un surjeu, son énergie scénique est débordante, apportant espièglerie et légèreté à l’intrigue tragique.
Le Publio de Christian van Horn complète le plateau vocal, apportant un timbre riche et presque caverneux. Doté d'une voix puissante à l’émission apparemment aisée, il est imposant scéniquement et s’investit dans les adresses spécifiques à ces partenaires.
Les Chœurs de l’Opéra de Paris, préparés par Ching-Lien Wu qui fait ici ses débuts en tant que cheffe des Chœurs (retrouvez notre grande interview à l'occasion de sa prise de fonctions) se distinguent par une prononciation et une lisibilité du texte, même lors des interventions en hors-scène. Formant les indiscrets courtisans de Titus aux éventails désapprobateurs, ils commentent l’action par un chant équilibré et impliqué, tant dans les passages contemplatifs que dans le finale triomphal et ce malgré l’assourdissement des voix, malheureusement dû au port du masque.
L’Orchestre de l’Opéra de Paris est dirigé par Mark Wigglesworth, avec un dynamisme apprécié par le public. Très attentif au lien entre scène et fosse, il est aussi pris que ses chanteurs dans les émotions des personnages, guidant les musiciens vers une grande écoute. L’orchestre se fait triomphant lors du finale, animé par l’énergie de son chef, et l'ensemble est accueilli par l’enjouement du public qui couronne les artistes de bravi retentissants.