Papageno porté disparu à l'Opéra de Clermont-Ferrand
Mais où est donc passé Papageno ? Voici la question qui guide le projet et le spectacle monté et proposé depuis plusieurs années désormais par la soprano Eugénie Borceux qui, avec son mari, a fondé le duo Hài-Hòa. Un duo aux talents multiples (musicaux comme théâtraux) qui s’est notamment fixé pour mission de faire connaître l’art lyrique et de promouvoir la pratique du chant auprès du plus grand nombre. Et notamment auprès des jeunes enfants. Ainsi, sur la scène clermontoise. En cette clôture de saison prenant là une authentique dimension festive, ce sont pas moins de 120 enfants issus d’écoles primaires puydômoises qui viennent former un chœur pour le moins rafraîchissant et coloré. Séparés par le mètre de distance encore de rigueur, les jeunes choristes, âgés de 6 à 11 ans, sont vêtus de tee-shirts aux couleurs vives, qui semblent d’emblée annoncer l’imminence d’un feu d’artifice vocal. Et en effet, le public est servi : tout au long du spectacle, d’une durée de 45 minutes, les artistes en herbe s’en donnent à c(h)œur joie en termes d’émission vocale et d’élan lyrique, livrant là le fruit d’une année de répétitions menées dans leurs classes respectives, le tout sous l’encadrement bienveillant de leurs maîtres d’école et d'Eugénie Borceux elle-même.
En résulte un joyeux festival vocal où sont convoqués les plus grands compositeurs du répertoire lyrique. Car, alors que le spectacle débute sur les notes de La Flûte enchantée, mais que Papageno vient à manquer à l’appel, il s’agit bel et bien pour les enfants de savoir où ce dernier est passé. S’est-il “égaré en coulisses” ? A-t-il été “ralenti par des embouteillages” ? S’est-il tout bonnement “trompé de ville”, de scène, et donc d’opéra ? Et les enfants, avec à leurs côtés Eugénie Borceux en Papagena désespérée, d’ouvrir un catalogue d’œuvres dans lequel l’oiseleur pourrait sans doute se trouver. Voici ainsi venir Carmen et son air de la Garde montante (comme une évidence pour un chœur d’enfants), puis la fameuse “Habanera”, avant Rusalka et son “Chant à la Lune”, précédant Rigoletto et l’incontournable “La Donna è mobile” interprété dans un même élan de fraîcheur et de juvénile sonorité par le chœur d’écoliers.
Mais puisqu’il ne se trouve donc dans ces grands classiques, ni même dans Les Noces de Figaro (“L’ho perduta”) ou dans Thaïs (Méditation), pourquoi ne pas chercher ce fourbe de Papageno chez Rossini (avec de Duo des Chats dont la composition lui est souvent attribuée), ou dans le répertoire de l'opérette, voire même du jazz. Et, dans un même élan de joyeuse ferveur vocale, place donc à Offenbach et à ses Contes d’Hoffmann (Air de la Poupée), sa Grande Duchesse de Gerolstein (“Je suis le Général boum”), sa Périchole (“Ah que les hommes sont bêtes”), ou encore Orphée aux Enfers (Couplets de Cupidon, Galop infernal). Place aussi à Gershwin et à son Lady Be Good (“The man I love”), qui sonne là comme un dernier appel émis par Papagena pour retrouver son amoureux, qui finit par être retrouvé alors même qu’il n’avait jamais disparu : c’est en fait le pianiste (brillant accompagnateur, du reste), Frédéric Boirceux, méconnaissable car fautif d’avoir oublié sa couronne de plume avant de rentrer sur scène.
Un happy-end évidemment, pour un spectacle empli d’une candeur qui n’exclut en rien un joli sens de la musicalité, et de l’investissement scénique aussi, dans des ensembles marqués par ailleurs par un sens appliqué de la rythmique collective (qu’elle soit vive ou plus modérée) et des diversités de nuances. Un résultat qui doit beaucoup sans doute au travail effectué tout au long de l’année par les écoliers et leurs enseignants dans des classes où l'opéra, plusieurs semaines durant, a constitué visiblement plus qu’un fil rouge : un authentique champ d’expression artistique autant que sportif (car le mouvement est de rigueur sur scène) pour les jeunes enfants. Quant à Eugénie Borceux, la créatrice de ce spectacle à dimension grandement pédagogique, elle trouve dans ses différents personnages (Papagena donc, mais aussi Olympia, Carmen, Barbarina, Rusalka…), l’occasion de dévoiler un soprano généreux et joliment timbré, porté par une émission aussi limpide que sonore sur toute l’amplitude de la tessiture. L’investissement scénique et l'énergie déployée sur scène sont par ailleurs remarquables et remarqués, contribuant très largement à créer un élan et un enthousiasme pour le moins communicatifs pour les jeunes choristes.
Leur performance est saluée par de chaleureux applaudissements qui, à coup sûr, résonneront pour longtemps dans la mémoire de ces “petites graines lyriques qui ne demandent plus qu’à pousser”, comme soulevé par le Directeur de la maison clermontoise Pierre Thirion-Vallet.