Renaissance imaginaire à Mars en Baroque
L’ambition du concert Imaginario, donné en l’église des Dominicaines à Marseille, est de transporter le public au cœur des cours espagnoles du Siècle d’Or, sous Charles Quint ou Philippe II. Comme le titre du récital l’indique, le corpus de chansons n’aurait pu être joué tel quel au cœur du palais de l’Escurial : le luthiste Ariel Abramovich a pioché dans les œuvres de compositeurs français ou flamands de la Renaissance (madrigaux en italien de Jacob Arcadelt, Josquin des Prés, Cyprien de Rore, etc.). Des œuvres du compositeur espagnol Juan Vasquez complètent le concert. Les textes des madrigaux, expliqués par Maria Cristina Kiehr, évoquent les premiers regards et les tourments de l’amour.
Ariel Abramovich troque son habituel luth pour la vihuela de mano, instrument aragonais popularisé au XVIe siècle, à la sonorité à mi-chemin entre théorbe et mandoline. Dans un rôle assez discret de continuo ou d’accompagnement à la tierce (intervalle consonant) de la voix, l’instrument s’efface parfois au profit du chant. Toutefois quelques pièces instrumentales comme le Ricercar de Julio Segni (initialement écrit pour luth) permettent au public de savourer la délicatesse du jeu solennel, mélancolique et contemplatif.
Maria Cristina Kiehr, habituée du festival et co-fondatrice du Concerto Soave avec le Directeur de Mars en Baroque Jean-Marc Aymes, assure avec aplomb la ligne de chant. Les airs du programme étant tous profanes (à part un Benedictus), ils prennent cependant une stature sacrée grâce à l’acoustique de l’église des Dominicaines et surtout à la technique vocale de leur interprète. Spécialiste de ce répertoire si particulier, Maria Cristina Kiehr fait montre d’un timbre pur, sans aspérité et dans l’esprit de l’époque : ici la place n’est pas aux ornements baroques du XVIIème siècle. La voix est ample, souple, bien placée, même si elle se montre parfois plus mesurée sur quelques aigus. La longueur de souffle, enchaînant les legati, s’avère remarquable, en particulier sur l’air Qué sentis coraçon mío.
Les atmosphères différentes se succèdent, passant de la contemplation quasi-religieuse à des moments plus enjoués, comme sur De los alamos vengo madre, où les staccati (piqués) apportent une touche plus enjouée, la voix se faisant plus vive et légère, puis à un climat plus sombre avec la lamentation Quien dice que la ausencia causa olvido, où le jeu s’avère plus retenu. La complicité de la chanteuse et de l’instrumentiste, indispensable sur une forme aussi fixée et précise, saute aux yeux (ou plutôt aux oreilles) tout au long du concert.