Sabine Devieilhe, retour à l’Opéra de Rennes avec le récital Parade sauvage
C’est avec beaucoup d’émotions et de joie que le public à l’Opéra de Rennes accueille la soprano colorature Sabine Devieilhe pour un nouveau programme intitulé « Parade sauvage ». Émue de revenir à Rennes, là où elle a fait ses débuts dans les chœurs dirigés par Gildas Pungier, la cantatrice est d’emblée très à l’aise sur cette scène-écrin qui se prête parfaitement au répertoire intimiste proposé.
La chanteuse ne choisit pas la facilité pour débuter son récital, avec deux chants à la symbolique forte : celle du rossignol, métaphore même du chant virtuose et salvateur. Dans la mélodie populaire Die Nachtigall comme dans La Chanson du Rossignol d’Igor Stravinsky, le chant déploie sa délicatesse sur un son rond et clair, d’une élasticité remarquée. Chaque inflexion a sa juste mesure, se joue des intervalles et des intonations avec une facilité déconcertante. La colorature semble presque s’excuser de réaliser de telles prouesses mais prouve à son auditoire captivé qu’elle a maintenu toutes les qualités de sa voix après cette période si difficile pour les artistes lyriques.
Trois berceuses populaires (dont la dernière, Petit chat triste, chantée à cappella est ponctuée de quelques « miaous » émis par le pianiste, mettant en joie le public) et un Lied de Schubert rappellent l’influence de la musique populaire et la clarté des aigus de la chanteuse au timbre coloré, le tout appuyé sur la finesse poétique des textes.
Le sourire dans la voix, la chanteuse prend la parole tout au long du concert pour introduire les œuvres avec le naturel d’une conteuse. Peu à peu, se dévoile ainsi le sens énigmatique du titre de ce programme, emprunté à un poème d’Arthur Rimbaud, extrait des Illuminations (déclamé un peu plus tard avec conviction par la chanteuse dans Fanfare de Benjamin Britten) : « J’ai seul la clef de cette parade, de cette parade sauvage ». La chanteuse et le pianiste ont conçu leur programme comme une devinette, une énigme. Ils excitent la curiosité (à chacun d’avoir sa clé pour découvrir ces œuvres, selon ses connaissances, son expérience intime avec la musique). Cette clé, comme elle dit « on peut tous l’avoir avec nous dans la poche ».
Telle une parade, se succèdent ainsi des miniatures, des paysages, des états d’âme. Après la magie du chant du rossignol et la tendresse des berceuses, l’atmosphère devient plus intense dans les cinq mélodies du recueil de Poulenc Banalités (sur des poèmes de Guillaume Apollinaire). Le lyrisme se mêle avec simplicité au drame profond comme aux échos d’un cabaret parisien : caractéristiques qui se retrouvent dans la dernière partie du programme consacrée à des Lieder de Liszt. Le sens du récit, charmeur, doux et riant bascule avec fluidité vers l’effroi et la peur, la tristesse et la résignation.
L’autre clé de l’expressivité dans ce duo tient en son pianiste, Mathieu Pordoy. Chef de chant à la carrière internationale, instrumentiste au toucher léger et délicat, il est le complice artistique de la chanteuse, épouse son souffle, ses émotions et exprime aussi son talent de soliste dans une pièce instrumentale ouvrant la partie consacrée à Liszt : Sonnetto Petrarca 104 .
Sabine Devieilhe contribue également à l’initiative Momentum créée par Barbara Hannigan (des solistes renommés soutenant de jeunes collègues dans la première étape de leur carrière). Elle invite ainsi la mezzo-soprano, ancienne élève du Pont Supérieur de Rennes, Mathilde Pajot (déjà repérée sur cette même scène pour Katia Kabanova) à partager le plateau avec elle. Convaincue, celle-ci déploie l’expressivité et l’homogénéité de sa tessiture avec des mediums et des graves bien soutenus, un vibrato maîtrisé, une voix au timbre rond et chaud, bien projetée. Le phrasé soutient la compréhension du texte à travers les deux mélodies et les deux Lieder choisis. Les nuances gagneront cependant à être encore plus diversifiées, notamment dans certains aigus un peu forts. Son interprétation de Die junge Nonne de Schubert (portrait d’une jeune nonne exaltée au destin tragique) est incarnée et émouvante. « Elle est formidable » dira Sabine Devieilhe à plusieurs reprises.
Ces artistes détiendraient-ils la clé du bonheur ? La réaction enthousiaste du public répond par l'affirmative. Avec générosité, trois bis sont offerts : le Duo des fleurs ainsi que deux petites plaisanteries musicales, "Le Poulailler" de l'opérette Schnock et une chanson de Petula Clark “A London (allons donc) pêcher la crevette”, liée à une anecdote que raconte avec humour Sabine Devieilhe.