Ferveur et enthousiasme pour Le Messie de Haendel à Evian
Le public des Rencontres musicales d’Evian est visiblement toujours aussi admiratif de cette salle unique qu’est La Grange au Lac, dont la forêt de bouleaux qui orne le fond de scène semble surmontée par les six élégants lustres de cristal. Au-delà de l’atmosphère chaleureuse, cette salle de concert procure une acoustique d'exception. Bien que pensée pour la musique de chambre, et particulièrement le quatuor à cordes, la voix, quand elle est parfaitement maîtrisée, y trouve toute sa place. Le concert de ce soir le démontre, pour le plus grand bonheur des auditeurs, privés des lieux depuis trop longtemps.
Pour inaugurer ces retrouvailles, l’œuvre monumentale de Georg Friedrich Haendel, Le Messie est proposé par Les Talens Lyriques et le Chœur de chambre de Namur, sous la direction de Christophe Rousset, aux côtés de quatre solistes venus d’outre-Atlantique. Dès la Sinfonia, les musiciens font entendre un son d’ensemble incisif et affirmé, offrant une interprétation riche en reliefs. Capable de se mettre en retrait pour les solistes, tout en leur répondant avec la même énergie, l’orchestre fait également entendre la pastorale Pifa, en tendre berceuse caressante. La maîtrise des trompettistes, particulièrement Russell Gilmour, ajoute en éclat lors de l’air The trumpet shall sound (La trompette sonnera) et le légendaire Hallelujah. La direction de Christophe Rousset se montre engagée et dynamique sans jamais être exubérante, ne distrayant ainsi jamais le regard du spectateur. Celui-ci profite alors d’une interprétation aussi vivante qu’équilibrée, pleine de contrastes proposés avec souplesse.
Les solistes peuvent ainsi faire preuve avec aisance de leurs talents expressifs, à commencer par le chanteur contre-ténor alto Christopher Lowrey, charmant par sa voix claire et légère, aux aigus particulièrement soyeux. Le soin qu’il porte à la diction et le soutien de ses phrasés est agrémenté d’un vibrato léger et subtil. Son chant reste ainsi touchant dans le dramatique He was despised and rejected of men (Il était dédaigné et méprisé de tous).
La soprano Amanda Forsythe fait également entendre une grande aisance vocale, avec l'homogénéité de toute sa tessiture et un timbre agréablement suave. Sa présence est engageante, s’adressant au public par ses regards, et son texte est limpide. Si l’acoustique de la salle portait un peu plus son chant, elle rayonnerait davantage, tout en conservant le caractère tendre et rassurant.
Le ténor Jason Bridges impressionne d’abord par la longueur de son souffle qui ne perd rien de sa ligne vocale, constante et maîtrisée, laissant entendre des ornements sans aucune interruption. Son récitatif comme son air montrent leur expressivité dans la simplicité. Enfin, la basse Nahuel di Pierro démontre à plusieurs reprises une noirceur de timbre dont les graves profonds saisissent. Lors de l’air Why do the nations so furiously rage together? (Pourquoi les nations s’assemblent-elles en fureur ?) sur un accompagnement nerveux, presque percussif des cordes, illustrant à propos la fureur des nations, le chanteur fait également entendre sa maîtrise de la ligne vocale qui permet des traits de vocalises agréablement ciselés.
Outre ce plateau vocal, la ferveur du public est encore davantage déployée pour le Chœur de chambre de Namur. L’acoustique de La Grange au Lac qui laisse tout entendre et ne pardonne rien déploie ainsi l’homogénéité et la prestance des 18 artistes de chœur : véritable masse chorale dans les passages imposants et mémorables, riches en reliefs dans les passages qui nécessitent plus de subtilité.
Cédant au public qui manifeste son enthousiasme en tapant des pieds sur le plancher de La Grange au Lac, chœur, orchestre et solistes offrent en bis le fameux Hallelujah, concluant ainsi en prestance et en majesté cette soirée (et donnant rendez-vous le lendemain pour le récital de Juan Diego Flórez : compte-rendu à suivre).