La Storia di Orfeo au Théâtre des Champs-Elysées
Pour conter le mythe d’Orphée et d’Eurydice, Philippe Jaroussky a rassemblé la musique de Monteverdi, Rossi et Sartorio, de façon à recréer l’histoire entière à travers les différents airs issus des opéras des trois compositeurs. L’Orfeo de Jaroussky commence donc par la Toccata de Monteverdi, qui sert d’ouverture, avant que le public ne soit plongé dans le bonheur des jeunes amoureux, avec Sartorio et Rossi. S’ensuit la fatale morsure du serpent avec laquelle s’enchaîne la descente d’Orphée aux enfers, notamment par le fameux Possente spirto de L’Orfeo de Monteverdi. C’est un rêve de longue date qui se concrétise pour le contre-ténor, qui souhaitait depuis longtemps pouvoir conter ce mythe par ces trois versions réunies. Le public, toujours au rendez-vous et ravi du retour en salle, accueille d’ailleurs avec beaucoup de chaleur cette initiative, qu’il salue par une éclatante ovation en fin de spectacle.
Le spectateur retrouve dans le rôle d’Eurydice la soprano hongroise Emőke Baráth, habituée de la scène du Théâtre des Champs-Élysées et du Château de Versailles (ce programme s’y rendra, le 5 juillet, dans la Galerie des Glaces) : la voix se déploie dans des aigus souples et contrastés, ostentatoire et lumineuse dans son amour pour son poète, vibrante et touchante dans la mort et le désespoir de la séparation, où la cantatrice fait frémir le public par son Ahimè, Numi, son morta de L’Orfeo de Sartorio. Enfin, avec Sartorio de nouveau, elle presse les pas de son amant vers la sortie des enfers -hélas, survient le moment fatidique où Orphée se retourne et le cri déchirant d’Eurydice (« Ah, crudel que facesti ? / Orfeo, tu mi perdesti ») frappe le public par le tragique que déploie la cantatrice, tout en y maintenant une mesure et une justesse aussi propres au baroque.
Philippe Jaroussky est quant à lui un Orphée éperdu et plein de délicatesse envers son épouse. Il entonne son premier air d’une voix souple, légère et empreinte d’une agréable gaieté qu’il gardera intacte pendant toute la première partie du concert. Son émotion devant le corps sans vie de son épouse (Emőke Baráth littéralement allongée devant lui) en est d’autant plus touchante et soulignée par les beaux aigus qu’il déploie avec grâce dans l’air de Rossi, Lagrime, dove sete, par lequel se termine la première partie du concert.
Ayant alors troqué sa galante chemise blanche pour un costume entièrement noir, le contre-ténor ressurgit sur scène et entonne un magnifique Possente spirto qui plonge la salle dans un solennel émoi (certes troublé par l’enthousiasme de quelques applaudissements survenus trop tôt). Sur le Lasciate Averno de Rossi, il conclut la triste aventure d’Orphée par les mots « A Morire ! », servis par un timbre cristallin et une diction claire qui achèvent ainsi le concert.
L’Ensemble Artaserse accompagne les deux chanteurs avec les instruments d’époque (théorbe, viole de gambe, saqueboute...), où les cordes, les vents et les percussions se répondent et s’accordent dans une belle harmonie. Les pièces instrumentales de Monteverdi, Cavalli, Marini et Castello, qui traversent la suite du chant, sont portées avec à la fois finesse et puissance dans l’interprétation (et la grâce de la harpe qui accompagne le charme du Possente spirto en toute précision et souplesse).
À noter également le jeu de lumières, qui évolue au fur et à mesure de l’histoire : la salle et la scène, éclairées au début d’une vive lumière signifiant le bonheur des deux amants, s’assombrit petit à petit pour finir dans une pénombre presque totale où Orphée, Eurydice et l’orchestre ne sont plus que des ombres fantômes, abandonnées à leur destinée fatale.
Ensemble, les deux chanteurs forment un duo de tendresse et de complicité, dès le premier air Cara e amabile catena, extrait de L’Orfeo de Sartorio où se répondent de joyeux aigus. Le bonheur des deux personnages, et sans doute de leurs interprètes, fait plaisir à voir et à entendre et touche un public déjà averti, d’autant plus, du malheur qui plane sur le couple.
Les envolées célestes mêlent d'autant mieux, comme une seule, les deux voix, dans Che dolcezza de l’opéra de Rossi. Le dernier duo est celui du bis, où les interprètes choisissent de chanter, pour terminer ce triste mythe sur une note plus joyeuse, le Pur ti miro du Couronnement de Poppée de Monteverdi, qui est un ensemble féérique de douceur et de spontanéité, sur lequel s’achève le concert.