Une soirée bien arrosée à l’Opéra Grand Avignon avec La Chauve-Souris de Strauss
Cette nouvelle production captée à Rennes (notre compte-rendu) retransmise sur de nombreuses chaines, plateformes numériques et pour 5.000 spectateurs sur grands écrans en Bretagne et Pays-de-la-Loire trouve en Avignon un public bien présent pour conclure en beauté les festivités d'une saison si particulière. Le retour du public et la fin de saison marque aussi les adieux à l'Opéra Confluence, la maison retrouvant à la rentrée son site historique (Place de l’Horloge).
Pensée et conçue par le metteur en scène Jean Lacornerie, assisté de Raphaël Cottin et Katja Kruger, la manigance de cette intrigue est brillamment illustrée. Le public fait connaissance avec les protagonistes par un enchainement méticuleux de mini-scènes dans de beaux cadres en moulures, et à l'image du dynamisme de cet enchaînement, la suite ne sera que festivités : des décors grandioses et des costumes soigneusement distingués, un tourbillon incessant de danses épatantes, un majestueux rideau doré remplaçant le traditionnel rideau rouge de scène, illuminé par un jeu de lumières recherché signé Kevin Briard. L’atmosphère explosive convie tout le public à se joindre à la célébration. Il est même invité par la narratrice, à voter l'acquittement du pauvre Eisenstein, essayant de se faire pardonner auprès de sa bien-aimée. La majorité de l'audience répond en la faveur de l'accusé et les artistes reprennent avec frénésie l'hymne au Champagne.
L’histoire est somptueusement racontée par la comédienne Anne Girouard (connue par ailleurs pour son rôle de reine Guenièvre dans Kaamelott), triomphant ici dans un rôle de narratrice plein d’humour et dynamique. Se donnant corps et âme, elle conte l’intrigue avec entrain, partage ses impressions et anecdotes d’époque et moderne (notamment en référence à la crise sanitaire), provoquant des fous-rires dans la salle. L’Orchestre National Avignon-Provence, dirigé attentivement par Claude Schnitzler, dégage tout aussi allègrement la virtuosité de Johann Strauss II.
Gabriel Von Eisenstein, porté par le baryton Stephan Genz propose un jeu comique à souhait. Sa voix charismatique et pulsée donne vitalité à ce personnage, victime de la supercherie du Docteur Falk. Son timbre, bien charnu, est relevé par des nuances donnant du corps à ses paroles. À ses côtés, sa femme Rosalinde, jouée par la soprano Eléonore Marguerre emploie un jeu dramatique profond et déploie ainsi la riche palette de ses sentiments. Sa voix chaude et suave s’étend vers des phrases riches et mélodieuses (seuls certains de ses aigus paraissent parfois raides et manquant de relief). À leurs services, la jeune Adèle, interprétée par la soprano Claire de Sévigné, est une femme de chambre très féminine. Le jeu émouvant captive l’attention du public, la voix est soutenue par un timbre aérien à la justesse pure. À travers une chorégraphie charmante, sa performance du célèbre rire enchante en phrases maitrisées vers des aigus faciles et cristallins.
Alfred, soupirant de Rosalinde, voit le ténor Milos Bulajic jouer le joli cœur sur une comédie émouvante et sensée. Son timbre, particulièrement léger, se démarque par une diction prononcée. En revanche, les lignes du chanteur sont parfois hachées et manquent de projection dans les ensembles. Comploteur de cette affaire, le baryton-basse Thomas Tatzl convainc sur des interventions de caractère. Sa voix profonde et enjouée, dotée d’un léger vibrato, est une touche de velours. Il enchante le public avec des phrases contrôlées et à l’allure confiante. Son air principal apporte un moment de douceur, suivi d’une scène d’ensemble homogène et délicieusement envoûtante. D’une élégance royale, la mezzo-soprano Stephanie Houtzeel assure un jeu gracieux et expressif pour le Prince Orlovsky, sur des caractéristiques vocales chaleureuses et exclamées. Le Frank du baryton-basse Horst Lamnek montre une interprétation comique et crédible avec une voix distincte et résonante ainsi que des mimiques travaillées. D’un jeu d'acteur théâtral remarqué, le ténor François Piolino endosse le rôle du Docteur Blind avec volontarisme et rigueur scénique. Enfin, la sœur d’Adèle, Ida, est joliment interprétée par la soprano Veronika Seghers qui s’implique dans ses scènes avec élégance.
Le Chœur de l’Opéra Grand Avignon participe activement à cette soirée réjouissante en dansant et en donnant de la voix à cette fête, faisant retentir pleinement la musique de Johann Strauss II.
C’est une pièce de choix qui achève ainsi la saison de l’Opéra Grand Avignon, les spectateurs repartant avec un souvenir mémorable de cette soirée.