Alleluia ! Le Messie de Haendel a bien lieu au Festival de Saint-Denis
Valentin Tournet entretient une relation particulière et tourmentée avec cette œuvre. Un premier accroc avait eu lieu en 2019 lors de sa production à l’Auditorium de Radio France. Adèle Charvet, qui assistait au concert, avait sauvé Le Messie en remplaçant pour la deuxième partie, le contre-ténor malade, déchiffrant la partition à l’entracte. En 2020, le Festival n’ayant pas eu lieu pour cause de pandémie, l’œuvre ne fut donc pas jouée. Pour l’édition 2021 Le Messie revient, conservant cependant quelques stigmates dûs aux consignes sanitaires : l’œuvre n’est pas donnée dans son intégralité, le Festival de Saint-Denis étant contraint de réduire la durée du concert à 1h30 (l’œuvre dure un peu plus de 2h). De plus, Iestyn Davies, initialement prévu, a dû renoncer à ce Messie suite aux restrictions de déplacements entre la Grande-Bretagne et la France en raison du contexte sanitaire. Il est remplacé par Alex Potter.
C’est un Messie très attendu que le public vient écouter ce soir et c’est empli de douceur qu’il se présente à lui. La finesse sonore est due à l’effectif réduit du chœur (quinze chanteurs) et à la sonorité atténuée des instruments anciens dans l’immensité de la Basilique. La théâtralité (reprochée par les dévots de Londres lors de sa création) est adoucie au profit d’une certaine tendresse émanant des phrasés demandés par le chef. Si les rythmes doublement piqués de l’ouverture insufflent une certaine énergie, le son d’ensemble reste doux.
Les solistes, sortant des rangs du chœur pour venir chanter sur le devant de la scène, participent à cette suavité, de leur voix adaptée au répertoire baroque. La soprano Lauren Lodge-Campbell annonce la venue du sauveur dans un grand sourire, « Rejoice » et dans des vocalises aisées qu’elle encourage de mouvements de tête. Ses talents de conteuse agrémentés d’une voix claire rendent le texte des récits intelligible. Dans un phrasé soutenu elle introduit la troisième partie (« I Know that my Redeemer liveth », Je sais que mon sauveur vit) faisant entendre un vibrato rapide lorsqu’elle le libère, et de beaux aigus aux cadences.
Chaque intervention du contre-ténor Alex Potter est remarquée par sa délicatesse vocale et son phrasé subtil. Il confie « He was despised » (il fut dédaigné) dans une intériorité très touchante, la conservant même lorsque les cordes l’accompagnent de battements intenses. Gardant le registre de tête, sa voix demeure très homogène, mais elle peut, cependant, parfois se perdre dans le grand volume de l’édifice.
Andrew Staples, ténor, est le premier à annoncer le Messie dans le récit « Comfort ye my people » (consolez mon peuple) qu’il nuance et colore infiniment et fait résonner « Every valley » dans une accroche impressionnante. Il allège son émission pour les nuances piano et l’incorpore pour l’intensifier, faisant entendre de belles résonances incarnées. La répétition du texte « Behold and see » (regardez et voyez) s’entend ainsi soit comme une insistance soit comme une résignation.
Le baryton-basse Konstantin Wolff s’appuie sur les consonnes pour rendre la gravité de « Why do the nations so furiously » (pourquoi les nations sont-elles si furieuses) et vocalise distinctement au son de la trompette (The trumpet shall sound). Cependant celle-ci l’oblige à intensifier son émission, ce qu’il fait en poussant quelque peu et en perdant du timbre.
Les voix des choristes de La Chapelle Harmonique s’unissent dans un son commun (peu de vibrato) afin d’exprimer la ferveur collective des parties de chœur importantes de l'œuvre. Les moments a cappella sonnent dans une grande homogénéité en rappel des polyphonies des siècles antérieurs (« since by man came death », puisque par un homme est venue la mort). Les vocalises évoquant la joie de la naissance de Jésus sont précises et de par son petit effectif, le chœur participe à la douceur de l’ensemble. Le chef Valentin Tournet demeure attentionné à chaque départ et accompagne les musiciens dans des phrasés très soignés. Toutefois les fluctuations de sa battue fragilisent quelque peu la stabilité rythmique de l’ensemble et engendrent une certaine âpreté du son des violons. Le continuo assure la dynamique et sculpte le relief des phrases, enrichi de la couleur d’un contrebasson qui se dresse tel un mât dans la nef.
Le public ravi d’avoir entendu cette œuvre phare de Haendel applaudit chaleureusement. Il est également ravi de constater que la pluie, tant attendue elle aussi en ces journées de forte chaleur, est tombée en même temps que l’arrivée du Messie.