Le Festival Palazzetto Bru Zane Paris fait son retour au TCE avec un programme spécial Napoléon
Le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française poursuit sa mission consistant à ressusciter les œuvres oubliées du Grand XIXe siècle (un siècle qui s’ouvre avec Napoléon), par des opus rares ou des versions rares de très célèbres opus (comme, entre bien d'autres exemples, le retour à la version d'origine du Faust de Gounod). Ces deux Messes, pour un Sacre et pour un Requiem, qui servirent toutes deux la gloire de l’Empereur dès le premier mois de son règne, sont ici réunies au Théâtre des Champs-Elysées en un même concert dans le cadre du 8ème Festival Palazzetto Bru Zane Paris (détail et réservation ici) qui se tient dans cinq lieux parisiens (Philharmonie, Auditorium du Musée du Louvre, Théâtre du Châtelet, Auditorium de Radio France et donc TCE). Ce soirée inaugure également un cycle Napoléon qui se poursuivra la saison prochaine.
Le Palazzetto Bru Zane inaugure ainsi l’un de ses nouveaux cycles thématiques, en réunissant ces deux moments historiques pour l'art et la culture (et la politique) en France au début du XIXe siècle : deux moments très étroitement liés. La Messe de Paisiello est en effet créée pour le Sacre de Napoléon le 2 décembre 1804 à Notre-Dame de Paris, un événement qui entraîne le report de la première audition en France du Requiem de Mozart (initialement prévue pour le 5 décembre 1804 soit le jour du 13ème anniversaire de la mort de ce génie encore trop méconnu alors en France). Le Requiem de Mozart, débarquant alors en France pour la première fois (le 21 décembre), représente un événement dont les échos servent aussi à clamer la grandeur du règne de Napoléon (au même moment où il s'aliénait l'autre génie musical d'Outre-Rhin : Beethoven déchirant sa dédicace de sa Troisième Symphonie "Héroïque" au Bonaparte Révolutionnaire lorsque le Premier Consul devient Empereur). "Et s’il fallait ajouter aux liens qui rassemblent les deux partitions du présent programme, ce serait en rappelant que c’est au son du Requiem de Mozart que le corps de Napoléon entra aux Invalides lors de son rapatriement en France en 1840", rappelle Alexandre Dratwicki (Directeur artistique du Palazzetto Bru Zane).
Retour au mois Sacré (décembre 1804)
Le Requiem de Mozart a été créé pour ce qui concerne la France en l’Église Saint-Germain l'Auxerrois le 21 décembre 1804, et le Palazzetto Bru Zane a bien évidemment, comme à son habitude, replongé dans l’époque de la création par le travail de recherche dans les archives, redonnant cette envie et cette possibilité pour le public d’"écouter Mozart comme il avait été proposé en 1804, et dans la suite de la Messe pour le sacre de Napoléon."
Proposer à nouveau ces œuvres au public, permet ainsi de se replonger dans une époque. Celle où toute l’Europe vient à Paris, où l'Empereur de France Napoléon Ier confie au napolitain Giovanni Paisiello la direction de sa chapelle musicale et lui commande également la musique destinée à son sacre. Celle où Luigi Cherubini fait toute sa carrière en France, s'approprie le style français, prend la direction du Conservatoire. C’est d'ailleurs lui, Luigi Cherubini, qui tient la baguette en ce 21 décembre 1804 pour faire découvrir à la France le Requiem de Mozart.
"Ces concerts permettent de toucher du doigt concrètement ce qu'étaient la vie musicale et les échanges entre musiciens et entre les nations", résume son lointain successeur, le chef de ce concert du TCE ce 18 juin 2021, Julien Chauvin qui poursuit ainsi : "Recréer le double choc provoqué par la Messe pour Napoléon et par le Requiem de Mozart tel qu'il a été découvert par la France, se remettre dans la peau des parisiens, tout cela s’ajoute au grand intérêt musical de ce programme, et à la dimension inédite dans la réunion de ces deux œuvres emblématiques de la Chapelle Impériale, du début du XIXe siècle".
La Messe a été créée pour une "Cérémonie-monstre", celle du sacre de Napoléon durant près de cinq heures avec plusieurs grandes compositions (un Sacre immortalisé par le fameux tableau de Jacques-Louis David). Toutefois, le Directeur artistique du Palazzetto Bru Zane Alexandre Dratwicki, et le Directeur musical de ce concert Julien Chauvin décrivent respectivement cette œuvre comme celle d’un Sacre, "festif et serein", "une Messe tout en sérénité, tout en divination. Une Messe qui glorifie mais en prenant le temps de comprendre et de vivre ce Sacre qui se veut apaisé, sans volonté dans la musique de démontrer une puissance tonitruante, hormis dans le dernier mouvement."
"Cette Messe est très intimidante pour qui commence à la travailler, confie ainsi Alexandre Dratwicki, mais là encore les réponses se trouvent dans les recherches, en croisant les partitions et les articles. Les sources expliquent ainsi qu’il s’agissait d’une Messe à double chœur, double orchestre et deux groupes de solistes. Mais en étudiant bien la question, on découvre qu’elle a originellement été écrite de manière plus modeste : c'est ce que montre la partition d'une messe pastorale en italien trouvée par Sébastien Troester au Conservatoire de Naples, où l’on trouve le fond Paisiello. Cette messe y est identique, seul le dernier numéro de la Messe du sacre n'y figurant pas, mais elle est écrite pour un orchestre, un chœur et trois solistes. Ce que l'on peut en déduire, c'est que cette partition a été reprise et amplifiée dans son ambition dans une idée de spatialisation finalement assez berlozienne avant l’heure, dans laquelle les deux chœurs, les deux orchestres et les différents solistes interprètent à tour de rôle des parties de la partition originelle. C'est du coup cette version plus sobre qui sera donnée au Théâtre des Champs-Elysées avec un chœur et orchestre au plateau (nous aurons toutefois 5 solistes et non pas trois)."
Retour aux sources
Cette double résurrection, pour cette œuvre oubliée et cette version oubliée d’un chef-d’œuvre, a en effet été rendue possible (comme tous les projets du Palazzetto Bru Zane) par le travail approfondi de recherche dans les archives effectué par les équipes et celui sur les partitions effectué par Sébastien Troester (responsable scientifique des éditions musicales du Palazzetto Bru Zane), qui a comme chaque fois mené l’enquête afin de s’appuyer sur les sources originelles.
La Bibliothèque nationale de France dispose des partitions d'origine, pour ce qui concerne ces deux œuvres, mais de nombreuses pistes à explorer et découvertes attendaient les chercheurs et les musiciens, comme il nous le relate : "Pour le Requiem de Mozart, la BnF a conservé le matériau musical manuscrit identifié comme étant celui de la création, ce qui allié au fait que cette création française de 1804 est très documentée, apporte une source très fiable."
Toutefois, il reste toujours de petites subtilités et questions à résoudre (et des surprises à découvrir), en l’occurrence, "très étonnamment, il y a pour le Requiem un conducteur d’orchestre manuscrit et des parties séparées manuscrites qui étaient vraisemblablement présentes en très grand nombre. Celles qui sont encore disponibles dans le lot de la Bibliothèque Nationale sont peu annotées et ont quelques coupures seulement (coupures variables, certaines parties étant toutefois cousues ensemble) : il est donc évident qu’elles n’ont pas beaucoup été jouées." La recherche s’est donc poursuivie et s’est approfondie : "nous sommes allés chercher les copies au fond des fonds des bibliothèques et il semble donc rester le talon parmi toutes les nombreuses copies effectuées, nous le savons grâce aux listes de prêts dressées par les bibliothécaires de l’époque (le talon, ce sont les copies tout en bas d'un lot de partitions copiées, et qui sont donc les dernières utilisées pour remplacer les copies empruntées les unes après les autres, à mesures qu'elles sont utilisées, perdues, à remplacer)."
Pour la Messe de Paisiello également, les sources étaient accessibles à la Bibliothèque Nationale avec partition d’orchestre et parties séparées (manuscrites également) mais qui, au contraire du Requiem de Mozart, ont été visiblement très peu copiées et encore moins jouées ("au point qu’on peut se demander si elles n’auraient pas été utilisées uniquement pour les répétitions et cette cérémonie"). Les recherches et les découvertes se sont poursuivies et ont mené à Naples "où se trouve l’autographe, la partition écrite de la main de Paisiello de cette même œuvre... sauf le dernier mouvement, celui qui est dédié à l'Empereur, et a été rajouté (en refondant peut-être une œuvre napolitaine pré-existante)." Ce dernier mouvement, ajouté à la Messe pour Napoléon (alors que le reste de l’œuvre semble avoir déjà été composé pour une occasion précédente), s'intitule Domine, salvum fac Imperatorem : le dernier mot, "Empereur" remplace donc celui de Roi, traditionnellement employé dans cet hymne de l'Ancien régime (Domine, salvum fac Regem). "C’est aussi pour ce mouvement qu’a été ajoutée une troupe (harmonie et cuivres) à l’orchestration donnant certainement un effet impressionnant, en apothéose pour cette Messe dans la Cathédrale Notre-Dame de Paris."
Le Palazzetto Bru Zane mène ses recherches dans les fonds de partition comme dans les bibliothèques et Sébastien Troester a ainsi pu s’appuyer sur un grand article de Jean Mongrédien ("La musique du sacre de Napoléon Ier" publié dans la Revue de Musicologie en 1967) qui a mené toute une enquête sur ce qui a été joué ou non durant la Messe du Sacre ("nous avons également mené des travaux il y a deux ans sur la Messe de Méhul qui n’est en fait pas de Méhul, mais qui était considérée encore comme telle dans les années 1960 alors qu’il s’agirait d’un mythe total, d’une œuvre jamais jouée").
Les partitions, les recensions, les études et témoignages nous apprennent ainsi comment ces œuvres étaient jouées et comment ces compositeurs étaient reçus en France : "avec des coupes, ou des pages cousues et des collettes (que nous pouvons découdre ou ouvrir avec l’accord de la BnF) pour connaître les sédimentations des interprétations (pour certaines œuvres d’Offenbach par exemple, on ne s’embête alors pas à l'époque : on arrache des pages, on en colle par-dessus d’autres… c’est une enquête archéologique à faire dans les partitions)".
Un résultat inouï
La richesse de ce projet s'appuie ainsi sur l’habituelle concordance des forces vives du Palazzetto Bru Zane. Ce concert est ainsi, une fois de plus, “un retour à ces œuvres-mêmes avec une extrême fidélité aux partitions, se réjouit Julien Chauvin (alors même que les interprétations pouvaient énormément changer et varier). Ce travail est le plus pertinent pour montrer ce qui était apprécié et comment, en comprenant son contexte, ce qui correspondait aux possibilités et aux goûts des musiciens parisiens. Le Tuba Mirum du Requiem de Mozart n'est ainsi pas joué par son fameux trombone solo mais par un basson solo, il n'y a pas de clarinette de basset mais des cors anglais, le Requiem de Mozart commence ici par un Introït de Jommelli, la fugue n'est pas jouée au début mais à la fin, autant d'éléments importants à faire entendre. Jommelli ne connaissait pas même l'œuvre de Mozart mais son introduction est tellement belle : elle prépare l'auditeur, différemment, à l'écoute de Mozart. C'est une mise en perspective et en condition, suscitant une curiosité et une expérience différente.”
Le résultat s’annonce à la hauteur des événements, selon tous les participants de ce projet (qui sera joué dans d'autres lieux la saison prochaine, voire au-delà). “La palette est impressionnante, dans le Requiem et dans la Messe, s’enthousiasme ainsi Julien Chauvin qui dirige le concert. Ces partitions sont très contrastées, virevoltantes et aux légères envolées, pour les voix et entre les différents mouvements (passant d'un chœur à une fugue, à un solo). Cela permet de montrer toutes les facettes de cette partition, la diversité des caractères pour les solistes, le chœur (parfois classique protagoniste en fugues, parfois commentateur colorant le discours).
La Messe virtuose fait jouer tous les registres vocaux, avec des parties soprano colorature, colorées pour la basse également. Elle laisse libre cours aux solistes pour s’exprimer, avec panache (ce qui est très exigeant pour eux mais donne un résultat très plaisant pour l'auditoire). La prononciation pour le chœur est en latin à la française (une couleur d’origine voulue par le Palazzetto Bru Zane dans la logique de son projet, comme ce sera le cas pour les Stabat Mater de Haydn et Pergolèse qui vont paraître la saison prochaine). Pour l'Orchestre, la couleur orchestrale est un peu différente par les choix de timbre.”
Cycle Napoléon
Ce nouveau concert annonçant un nouveau cycle permet à Alexandre Dratwicki de rappeler la logique des thématiques au Palazzetto Bru Zane : “D’abord des cycles volontairement centrés sur les origines du romantisme. Nous avons eu pour son anniversaire un cycle Cherubini qui s’inscrit sur la même période (napoléonienne) et avec l’idée que la période la plus inconnue, (ou du moins celle qui l'était il y a quinze ans), était entre Louis XVI et Berlioz : on parle alors d’un prétendu no man’s land, durant lequel rien d’intéressant n’aurait été écrit, à part Médée et La Vestale, ce qui est totalement faux. Nous avons fait La Toison d'or (de Johann Christoph Vogel), Andromaque (Grétry), Thésée (Lully), Les Bayadères (Charles-Simon Catel), La Mort d’Abel (Kreutzer), Sémiramis (Crescentini), une bonne quinzaine d’œuvres que nous avons ressorties de cette époque-là. Le moment était venu de revenir au début du XIXème siècle, notamment à l’occasion de ce Bicentenaire… sans devoir entrer dans les débats qui l'entourent (entre célébration et commémoration), d’abord parce que la musique a la chance de ne pas trop toucher au militaire, bien qu'il y ait eu des pillages de partitions ou des spoliations artistiques, mais consistant aussi à faire venir les artistes d’autres pays. Le sujet de la musique sous Napoléon se dégage aisément de la personne de Napoléon. Il a poussé le financement et la création du Théâtre italien (qui a participé au rayonnement de l'art italien avec, notamment, la commande des Puritains de Bellini), il a fait venir à la cour Crescentini et Paisiello. La musique italienne était un moteur, et pour l’opéra, et pour l’image de l’État, et de sa propre personne, même s'i n'est pas cité. Napoléon est Trajan dans Le Triomphe de Trajan, Licinius dans La Vestale, Almanzor dans Les Abencérages, etc. Il était persuadé que l'art pouvait édifier les gens sur le régime politique en place. Et ce qui nous a intéressés, c’est combien l’époque napoléonienne a aussi été celle du Conservatoire, dont Bonaparte n’est pas l’instigateur, mais qu'il a soutenu. Et pour ces compositeurs qui sont des éternels oubliés : Hélène de Montgeroult, Catel, Grétry, Méhul, Cherubini, tout un répertoire de piano, de quintette à cordes, de quatuor ou de trio (ce qui est aussi idéal pour nous dans le cadre des concerts de musique de chambre organisés à Venise)."
Ce cycle Napoléon annonce ainsi l'avenir du Palazzetto Bru Zane mais en faisant aussi le lien avec les activités menées y compris durant ce confinement passé, durant lequel a été enregistrée La Fille de Madame Angot (notre compte-rendu), qui sera également représentée, au TCE le 30 juin, dans le cadre de ce Festival Palazzetto Bru Zane à Paris (du 8 juin au 1er juillet). Une œuvre qui permet aussi de montrer les conséquences du règne et de la chute de Napoléon : "À la chute de l’Empire fin XIXe siècle, on est revenus à l’idée de valoriser le concept de démocratie et de République, et donc, dans les sujets des opéras et opérettes composés durant ces années, fleurissent des sujets qui se situent tous entre 1789 et 1804. Par exemple, Les P'tites Michu de Messager, se passent sous le Directoire, Madame Angot sous le Consulat, Thérèse de Massenet sous la Révolution, tout comme Jocelyn de Godard. Bonaparte est toujours là, mais il n'est jamais évoqué, même quand l'œuvre évoque la politique de l'époque. A la fin du siècle, pendant une vingtaine d'années, après la chute du Second-Empire, on ne veut pas évoquer Napoléon sur scène, c’est trop "sensible", l'Empire est encore trop présent. Dans Madame Angot, il y a des personnages historiques, comme mademoiselle Lange, Trénitz, un des directeurs (consuls) Barras, Larivaudière, etc., mais jamais le Consul Bonaparte qui était le chef de file de tout ce collège. Tout Napoléon est là, mais en creux, omniprésent dans tous les esprits sans être nommé".
Le cycle se poursuivra avec un colloque international The Sounds of Empire en collaboration avec le centre Boccherini en Italie, avec des participants venant de tous les pays envahis à l'époque : “des chercheurs locaux ont essayé de déterminer les apports napoléoniens (des références culturelles voyageant ainsi à travers l'Europe, comme ses côtés plus obscurs et pillages artistiques)."
D'autres concerts complèteront ce cycle : "Nous avons choisi de proposer deux grands événements, deux opéras, l’un dont le thème renvoie à la Splendeur et au Naufrage de Napoléon : nous voulions La Vestale sur instruments historiques, dans une version de référence. Marina Rebeka nous avait confié rêver de jouer ce rôle, et a immédiatement accepté. Nous avons ainsi réussi à rassembler une très belle équipe : Stanislas de Barbeyrac incarnera Licinius (dans une tessiture qui lui va parfaitement : grand ténor et baryténor classique), Tassis Christoyannis sera Cinna, avec également Nicolas Courjal, le Chœur de la Radio Flamande et Les Talens Lyriques de Christophe Rousset (avec qui nous avons notamment fait Faust et Les Danaïdes). Les Abencérages de Cherubini iront à Budapest (pour un disque et une captation vidéo également), avec, belle surprise, John Osborn qui avait envie de chanter Almanzor avec un accompagnement sur instruments historiques. Il sera notamment entouré de Thomas Dolié et Patrick Bolleire. Avoir des stars du niveau de Marina Rebeka et de John Osborn pour ce genre de répertoire s’inscrit dans une promotion globale de ce répertoire et permet de le défendre et sublimer.”
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