Asmik Grigorian au firmament de L’instant Lyrique Salle Gaveau
Svelte et radieuse, Asmik Grigorian paraît habillée dans une robe de dentelles assez surprenante, le sourire aux lèvres, toute prête à séduire un public français curieux d’entendre et de voir enfin une artiste précédée d’une très flatteuse réputation. Et le résultat s’avère à la hauteur des espérances dans un programme mêlant avec habileté airs d’opéras et mélodies slaves avec Piotr Ilitch Tchaïkovski comme compositeur phare.
Tatiana avec la grande scène de la lettre extraite d’Eugène Onéguine ouvre la soirée. La soprano y déploie des moyens imposants, un large ambitus, avec ce timbre très marqué par ses origines et un chant constamment passionné. Quelques accentuations excessives marquent cependant la ligne de chant et l’aigu au vibrato un peu serré pourrait être encore plus épanoui. Mais l’intelligence de l’interprétation et sa fidélité au texte emporte une totale adhésion de l'artiste comme de l'auditoire. Plus libérée, plus épanouie, Asmik Grigorian aborde ensuite le superbe arioso de Iolanta avec une intensité expressive rare et une grâce infinie. La souffrance de la jeune fille aveugle affleure à chaque mot, à chaque mesure. Trois mélodies du grand compositeur russe lui permettent d’exposer toute une gamme de sentiments, de la douleur infinie aux essences du rêve. Sa voix de cantatrice d’opéra se plie avec aisance, sureté, à un exercice qui requiert de la délicatesse, un sens de la modulation ici maîtrisé.
Avec Giacomo Puccini, l’artiste atteint ensuite des sommets. Ses attaques franches et totalement nettes dans "Un bel di vedremo" de Madame Butterfly, sa tenue de chant exemplaire, sa hauteur de son, la solidité du souffle, se mettent au service d’un air ô combien connu. Ce dernier retrouve au sein de son interprétation déchirante une sincérité qui exprime toute la jeunesse et l’espérance sans appel de la petite Geisha. Asmik Grigorian offre par ailleurs une vision très intime de Manon Lescaut avec l’air du dernier acte, "Sola, perduta, abbandonata", débuté presque sur un souffle éperdu pour gagner ensuite en vigueur et intensité jusqu’au "non voglio morire" qui étreint l’auditeur.
En hommage à ses ascendances à la fois lituaniennes et arméniennes, la cantatrice interprète un air extrait de l’opéra d’Armen Tigranian, Anoush, ouvrage considéré comme l’opéra national arménien. La longue tenue des phrases, la solennité qui caractérisent cet opéra populaire qui conte une histoire d’amour profondément dramatique permet à l’artiste de dévoiler une part de son âme et son amour des origines. Avec le compositeur Komitas, prêtre apostolique et chantre arménien, si attaché à la musique populaire authentique, être tourmenté et persécuté, Asmik Grigorian livre un air Krunk tout empli de douleur et prégnant par sa vérité. L’air de Dalia provient pour sa part de l’opéra éponyme créé en 1959 par le compositeur lituanien Balys Dvarionas, très célèbre en son pays notamment pour son travail sur la musique folklorique.
En bis, Morgen de Richard Strauss à la bonne facture quoiqu'un peu hésitant encore, et surtout l’air de Lauretta (Gianni Schicchi de Puccini) "O mio Babbino caro" démontre qu’ Asmik Grigorian sait aussi s’amuser et divertir avec générosité et optimisme. Elle trouve en Antoine Palloc -alors qu'il s'agit de leur première collaboration-, un pianiste plus qu’accompagnateur empli de la même passion et d’une rigueur artistique aussi élevée. Leur entente est simplement parfaite et elle est perçue comme telle par un public irrémédiablement conquis !
Avant de gagner Bayreuth pour incarner Senta au sein de la nouvelle production du Vaisseau fantôme de Richard Wagner qui ouvrira le Festival 2021 dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, Asmik Grigorian restera parisienne. Elle paraîtra ainsi sur la scène de l’Opéra Bastille pour trois soirées consacrées à l’œuvre de Tchaïkovski avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris dirigées par Oksana Lyniv (6, 9 et 12 juin), puis à l’Auditorium de Radio France (13 juin) pour la puissante Quatorzième Symphonie de Dmitri Chostakovitch sous la baguette de Mikko Franck avec comme partenaire Matthias Goerne. Ces soirées prometteuses permettront de découvrir plus avant une artiste authentique et flamboyante, dans toute la plénitude de la quarantaine (en âge) et de ses moyens vocaux. Sous le label Alpha Classics, son premier récital en compagnie du pianiste Lukas Geniusas consacré à Rachmaninov sortira en mars 2022.
La Salle Gaveau se prépare quant à elle désormais au récital de Placido Domingo, qui fera à cette occasion son retour à Paris le 21 juin.