Les Arts Florissants retrouvent Bach et la Philharmonie
Le grand plateau scénique de la salle Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris permet une distanciation suffisante pour que les musiciens puissent interpréter démasqués les œuvres de Jean-Sébastien Bach : l’Oratorio de l’Ascension, la Suite pour orchestre n°3 en ré Majeur et le Magnificat.
William Christie choisit donc d’insérer une pièce profane (Suite pour orchestre n°3) entre les deux récits sacrés, présentant ainsi le vaste champ créatif de Bach dans toute sa diversité. Après l’ouverture grandiose de l’Oratorio de l’ascension (louange au Seigneur) le récit de l’évangéliste Luc commence, Bach utilisant le recitativo secco (récit sur un accompagnement "sec" d'accords) pour une intelligibilité optimale. Les deux autres personnages, « deux hommes en blanc », s’expriment dans des récits accompagnés afin de les différencier de l’évangéliste. Cette cantate ne présente que deux airs d’expression opposée : le premier, pour alto, dépeint la tristesse des disciples au moment de leur dernière rencontre avec Jésus. Le second, pour soprano, traduit leur espérance et leur joie de réaliser le retour du Christ pour l’éternité, l’aspect céleste de l’ascension étant accentué par l’accompagnement de flûtes et hautbois sans basse continue. La variété expressive est également défendue ce soir dans la Suite pour orchestre n°3 et Bach surprend en insérant un air pour violon d’une tendresse irrésistible entre la majestueuse ouverture à la française au son des trompettes et des timbales et la suite de danses enlevées. Le Magnificat, appelé également Cantique de Marie, exalte alors l’humilité de la Vierge en offrant aux solistes des airs d’une grande tendresse (tel Quia respexit, dans lequel la soprano Gwendoline Blondeel et le hautbois d’amour mêlent leur doux chant). Les voix masculines se voient confier des airs énergiques et vigoureux évoquant la puissance divine. Les chœurs interviennent tout aussi énergiquement dans un fort contraste avec la douceur de certains airs et affirment la ferveur des croyants dans une grande jubilation.
Afin de rendre compte de toute cette richesse musicale, William Christie s’appuie sur son expérience solide du répertoire ainsi que sur la technicité et l’engagement des musiciens de l’orchestre et du chœur Les Arts Florissants. Aucune barrière technique n’entrave les tempi rapides insufflés par le chef, traduisant l’allégresse du moment. Les instrumentistes "tricotent" (jouant rapidement des archets) et les chanteurs vocalisent très précisément. Les pupitres du chœur développent une homogénéité de son et de style, rendant le discours musical limpide. La grandeur émane des trois vaillants trompettistes, le beau son du hautbois d’amour plonge l’auditeur dans un moment d’intimité exquis et toute la sensibilité musicale du premier violon émeut dans le fameux air de la Suite pour orchestre. Le continuo fourni (théorbe, orgue ou clavecin, violoncelles et contrebasse) offre un socle solide structurant tout l’ensemble.
Rachel Redmond ayant du s’absenter suite à un décès dans sa famille, toutes les parties de soprano sont interprétées par Gwendoline Blondeel. Sa voix claire et peu vibrante, peut sembler timide et fragile dans l’air « Jesu, deine Gnadenblicke ». Cependant cette délicatesse extrême convainc dans « Quia respexit », traduisant toute l’humilité du personnage de Marie. Dans le trio du Magnificat, elle marie sa voix à celle d’une choriste et du contre-ténor Damien Guillon, et tous les trois laissent imaginer ce que pourrait être la voix des anges.
Damien Guillon connait bien ces œuvres, pour les avoir interprétées et dirigées avec son propre ensemble Le Banquet Céleste. Toute sa sensibilité se ressent dans l’air saisissant d’alto « Ach, bleibe doch, mein liebstes Leben » (Ah, demeure ici mon être chéri), air que Bach reprend pour l’Agnus dei de sa Messe en si. Son timbre clair assure une présence vocale même dans les nuances extrêmement piano et il intègre les silences de la partition dans un phrasé subtil et délicat.
Le ténor Moritz Kallenberg anime le récit de l’évangéliste avec une palette de couleurs vocales variées. Sa voix richement timbrée semble être retenue lorsqu’il chante en duo avec Damien Guillon, parvenant difficilement à sortir de cette réserve dans les exclamations du « Deposuit » du Magnificat. Il offre néanmoins de belles envolées vocalisantes soulignant le texte « exaltavit humiles » (il fait élever les humbles).
Lisandro Abadie déploie sa voix de basse dans une grande homogénéité sur toute la tessiture. Sa vocalité est aisée, présentant cependant un léger voile qui favorise la plainte dans le récit de l’Oratorio de l’ascension (« Ach, Jesu ») et participe à la douceur générale offerte par la prestation des solistes.
À la fin du concert, le public enthousiaste applaudit si fort qu’il fait oublier que la salle est remplie seulement à un tiers (jauge restreinte due au protocole sanitaire). William Christie, touché par cet accueil, offre un bis (reprise du chœur d’ouverture du Magnificat), et semble désolé de ne pouvoir poursuivre la soirée, contrainte du couvre-feu oblige.