Carmen l’essentiel pour les soignants du CHU de Bordeaux
Devant le personnel médical invité en remerciement pour leur dévouement, le directeur du CHU de Bordeaux ouvre la soirée d’un court discours où il proclame que « si la médecine sauve des vies, l’art illumine la vie ». Faisant une allusion directe au livret de Carmen, il s’exclame en conclusion, dans une intéressante mise en abyme du texte et du spectacle, « c’est la fête du courage, c’est la fête des gens de cœur ».
Le sympathique chef d’orchestre et Directeur des lieux Marc Minkowski présente avec humour, complicité et pédagogie chaque morceau phare de l’opéra, racontant le déroulement de l’intrigue. Il explique aussi les enjeux de la mise en espace à l’Auditorium où toute l'intrigue doit se dérouler sur un mince couloir "bonsaï" pour ne pas gêner les instrumentistes qui se partagent la scène avec les chanteurs.
Suite à l’ouverture magistrale, le chœur d’enfants de la maîtrise JAVA (Jeune Académie Vocale d'Aquitaine) chante de part et d’autre des gradins, côté cour et côté jardin, l’air de la garde montante. La fameuse Habanera, air principal de Carmen, est ensuite replacée dans le contexte de sa création (où elle fit un « flop » à cause du scandale suscité à l'encontre des bonnes mœurs). Mais aujourd’hui, c’est un véritable "tube" de la musique classique qu’Adèle Charvet interprète pour la première fois sur scène. La mezzo-soprano a l’originalité de s’approprier l’aria en l’interprétant véritablement à sa manière, en y ajoutant des petits ornements, quelques trilles dès le début. D’une justesse impeccable, elle dévoile une voix de mezzo avec de beaux graves et s’attache à bien articuler le texte pour qu’il soit audible. Puis, "Près des remparts de Séville", voilà Carmen qui charmera Don José, avec encore beaucoup plus d'aisance.
Micaëla interprète à son tour l’air de la lettre, dans le duo avec Don José "Parle-moi de ma mère". D'une sensibilité pudique propre à son personnage, Chiara Skerath chante avec beaucoup de subtilité. La soprano entonne ensuite l’air "Je dis que rien ne m'épouvante" avec une expressivité remarquable des pianississimi qui se déploient vers des crescendi et descresendi subtils, sans débordement vocal, avec puissance et toujours très distinctement dans l’élocution. Son interprétation suscite beaucoup d’émotion, son art de la nuance est parfaitement maîtrisé, sans pour autant que l’aspect technique ne se fasse ressentir.
La féerie ne fait que commencer, devant la taverne, le chef Minkowski présente alors le morceau de « plaisir ibérique » : Carmen entonne "Les tringles des sistres tintaient". La mezzo chante avec détermination et dynamisme, puis la voilà qui danse à l’issue de son chant sur le rythme tourbillonnant de l’orchestre.
Devant l'auditoire ravi, Jean-Fernand Setti entonne alors l’air du toréador avec beaucoup de facilité, exécutant ses piani d'une voix de baryton-basse très timbrée. Son chant est plein de vivacité et il s’attache également à se faire comprendre du public, insistant particulièrement sur son élocution quitte à se réserver vocalement.
La tessiture de basse de Zuniga interprété par Jean-Vincent Blot se déploie davantage dans son vibrato. Cette voix plus mûre évoque volontiers le sarcasme de son rôle, et son timbre est impeccablement soutenu. Lors du quintette des contrebandiers, Mercedes, alias Ambroisine Bré, a le beau rôle, dévoilant une tessiture de mezzo-soprano dont les aigus, amples, font retentir un vibrato chaud. Le chant de Frasquita, alias Olivia Doray est chatoyant. Le Dancaïre, interprété par Romain Dayez laisse entrevoir une profonde voix de baryton sous l’aspect guilleret de la mélodie. Le Remendado, interprété par Paco Garcia, fait entendre une voix de ténor très dynamique.
Le ténor Jérémie Schütz qui joue Don José pour la première fois sur scène, déploie une puissance extraordinaire dans les forte dont l'écueil tient sans doute en un manque d’articulation du texte. Sa voix s’affirme réellement sur scène, soutenue par beaucoup de coffre. Don José déploie ainsi son grand air de ténor, "La Fleur que tu m’avais jetée". Il redouble de puissance et de sensibilité, s’appropriant le rôle en introduisant quelques glissandi choisis qui concourent au dramatique de la scène. S’ensuit alors le trio des cartes où les bohémiennes se disent l’avenir. Le duo entre Mercédès et Frasquita est très harmonieux et les vibratos des deux jeunes femmes se mêlent admirablement, sans lourdeur. Carmen, dont la ligne vocale est plus grave lorsqu’il est question de la mort, se démarque aussi sans faiblir.
Tout le chœur reprend l’air du toréador avant que le tragique n’advienne : l’orchestre l’anticipe et prévient l’auditoire de l’issue fatale par des descentes chromatiques successives à la suite du fameux air plein d’entrain. Don José supplie Carmen de le suivre, mais Carmen ne l’aime plus, son cœur est désormais à Escamillo. Jérémie Schütz hausse sa voix au faîte de sa puissance, d’une conviction remarquable et très réaliste.
L’investissement des jeunes chanteurs pour ce spectacle « Carmen l’essentiel » conquiert ainsi le public qui leur offre un tonnerre d’applaudissements, malgré les jauges réduites, à l’issue du spectacle.