Ondes wagnériennes à la Maison de la Radio
À la veille du 208ème anniversaire de Richard Wagner (né le 22 mai 1813), l'Orchestre Philharmonique de Radio France propose un concert sous le signe du maître de Bayreuth, pour les retrouvailles tant attendues avec son public. Malgré la réduction de la jauge à son tiers, cette rencontre culturelle devenue rareté en cette période de la pandémie, produit un enthousiasme particulier des spectateurs et des musiciens, assez palpable dans la salle. Pour fêter cette reprise des concerts publics (même si l'activité de l'orchestre n'a pas été interrompue), le programme se construit autour de la personnalité de Wagner : Prélude du premier acte de Tristan et Isolde et l'air de la "Mort d'Isolde", ainsi que la 3ème Symphonie d'Anton Bruckner, dédiée à Wagner et surnommée "Wagner-Sinfonie". Paradoxalement, cet événement coïncide également avec la période où Wagner fit sa rupture définitive et tumultueuse avec la France il y a 150 ans, au crépuscule de la guerre franco-prussienne.
La soprano polonaise Iwona Sobotka interprète donc l'apothéose de l'héroïne Isolde, chantant sa Liebestod (Mort d'amour, achevant sa vie et l'opéra). Installée au fond de la scène, elle dévoile une couleur lumineuse qui scintille surtout dans les cimes de sa palette vocale. Le début réservé offre pourtant une suite plus épanouie, dans laquelle la soliste révèle l'ampleur de sa voix de poitrine, qui se projette loin et dont le volume contrebalance la puissance sonore de l'orchestre. Cependant, cet équilibre se défait souvent, la voix s'égarant devant le dense tissu polyphonique de la masse orchestrale dans les forte (laissant sa prononciation de l'allemand, bien que soignée, trop souvent inaudible). La technique vocale est bien soutenue, même si l'expression musicale manque quelque peu de souplesse et de finesse.
Pour cette occasion singulière, un spécialiste wagnérien, le maestro Marek Janowski (qui dirigeait entre autres la Tétralogie à Bayreuth en 2016 et 2017) retrouve l'Orchestre Philharmonique de Radio France (dont il fut le Directeur musical de 1984 à 2000). Il parvient à un juste rapport sonore entre les sections, surtout dans la première partie du concert. La complexe texture (polyphonique et chromatique) de la partition wagnérienne est rendue dans l'expressivité des bois et des cordes, les coups d'archet étouffent parfois délicieusement le son, donnant une pâte dramatique à cette ode symphonico-lyrique à l'amour. La Troisième Symphonie de Bruckner, dédiée à son idole, s'appuie sur l'esthétique musicale wagnérienne (certains passages résonnent avec des fragments de La Walkyrie ou du Tristan et Isolde), mais dégage les contours de son propre style d'écriture. La large construction symphonique entretient la haute intensité du début à la fin, avec les tuttis orchestraux que l'OPRF joue en symbiose (telles les notes à l'unisson), notamment les gradations et reflux dynamiques de tout l'effectif. Les cuivres répondent ardemment à l'exigence de la tâche, manifestant leur puissance mais non pas au détriment des autres. La collaboration des sections est sans faille, l'ensemble des jeux d'imitation ressortent élégamment, tout comme les passages dansants du Scherzo (des pizzicati savoureux des cordes) et du mouvement final.
Le concert, diffusé sur les ondes de France Musique, s'achève triomphalement par une apothéose orchestrale, méritant les longs applaudissements d'un public, reconnaissant de pouvoir de nouveau savourer la beauté de la musique classique en personne.