Un Coq d’or déplumé de son public à Lyon
Ce devait être une fête : la première de cette production du Coq d’or de Rimski-Korsakov correspondait en effet quasiment à la date d’autorisation de réouverture au public des salles de spectacle. Pourtant, l’occupation du théâtre par un mouvement dont la revendication première était justement la reprise culturelle avant de dériver vers d’autres objectifs, aura privé le public de cette reprise tant attendue et prolongé la souffrance des artistes et des personnels de l’Opéra.
La fête se tient tout de même sur scène, prouvant une fois encore la résilience de la culture vivante. Le rideau s’ouvre lentement sur ce Coq d’or couvé par Barrie Kosky, comme une métaphore de la situation actuelle, sur un décor unique représentant un paysage désolé (le cheval de Dodon est d’ailleurs inspiré du Monde hanté d’Alfred Kubin), sorte de dune touffue surplombée d’un arbre mort sur lequel se perche le Coq déplumé comme s’y reposeraient des vautours guettant leurs proies (et où pendent les corps sans vie des deux fils du Tsar à l’acte II) : c’est dans ce décor de western que la Reine mène son duel contre le Tsar, non à coups de révolver mais par la force enchanteresse de sa beauté. Le chœur va et vient depuis le fond de scène par un grand chemin qui ne mène nulle part, comme le peuple qu’il représente est mené vers un avenir absurde par un Tsar tyrannique. Si l’acte II manque clairement d’idées de mise en scène pour animer le long (près de 40 minutes) et magnifique duo entre Dodon et la Reine de Schemacha, cela n’en fait que davantage ressortir la folie qui s’empare de l’acte III, où costumes colorés, danseurs à paillettes (sur les ingénieuses chorégraphies d’Otto Pichler) et rebondissements scéniques redynamisent le spectacle.
La production est portée par ses deux protagonistes. Le Tsar Dodon est interprété Dmitry Ulyanov, qui s’invente une démarche pataude illustrant la partition. Sa large voix reste homogène depuis ses graves aux belles résonnances jusqu’aux aigus percutants. Il module cet instrument pour camper le chef autoritaire et cruel aussi bien que le fou amoureux et idiot.
Nina Minasyan est une Reine de Schemacha mystérieuse et envoutante. Sa voix soyeuse au phrasé délicat se nuance et se module, prenant le contrôle des tempi comme celui de son adversaire, toujours suivie par le chef qui tient alors sa baguette du bout des doigts pour mieux retranscrire à l’orchestre ces inspirations. Les vocalises sont maîtrisées et fluides, les aigus fins et légèrement -mais fermement- vibrés. Ses langoureuses mélopées et son rire perçant triomphent finalement du Tsar comme du public.
Margarita Nekrasova est une Amelfa à la voix dramatique qui alterne entre aigus déliés et engorgés à la rondeur affirmée, et graves de poitrine au métal rougi. L'astrologue d’Andrei Popov se montre fracassant sur ses attaques. Son ténor claironnant s’embouche lorsque la voix monte vers les étoiles et perd de sa justesse, mais ses vocalises glissent avec aplomb. Mischa Schelomianski, caché sous un masque en forme de tête de cheval, incarne le Général Polkan, figure guerrière qui seul se montre raisonnable, ce que l’interprétation reflète par une scansion rythmée, une voix ferme et martiale, et un souffle long. Le tsarévitch Afron bénéficie en Andrei Jilihovschi d’un charmant phrasé lié et d’une voix bien émise, au timbre mat de baryton. L’autre tsarévitch, Gvidon, ne trouve pas autant d’assurance chez Vasily Efimov, dont le phrasé bondissant ne perd toutefois pas l’esthétique du chant russe. Le Coq d'or, joué en scène par Wilfried Gonon est chanté depuis les coulisses par Maria Nazarova, à l’aigu riche et concentré.
Daniele Rustioni dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec habileté, obtenant une constante précision rythmique et stylistique. La musique de Rimski-Korsakov brille par la variété de ses inspirations : parfois grinçante, elle est ailleurs mélancolique ou d’une grande sensualité. Lorsqu’elle cite les scènes typiques de foule louant leur Tsar (qui rappellent le Prince Igor ou Boris Godounov, par exemple), c’est avec des paroles moqueuses et un sens exactement inverse. Le chœur, qui participe activement à la dynamique scénique (et à l’humour de la mise en scène notamment avec ses costumes à têtes de chevaux), se montre très en place et à l’aise dans le phrasé slave qui lui est confié.
Cette production, qui devait déjà voir le jour l’été dernier à Aix-en Provence, devrait enfin éclore devant un public en chair et en os, soit dans le cas d’une levée de l’occupation du théâtre à Lyon d’ici à la dernière représentation prévue le 4 juin, soit lors de la prochaine édition aixoise.
[Mise à jour du 22/05 : l'Opéra de Lyon annonce que les représentations des 23 et 26 mai sont annulées, en attendant que la demande d'expulsion déposée en référé par l'institution ne soit tranchée le 27]