Oratorios de Pâques et de l'Ascension : Banquet Céleste en direct de Rennes
Un an de crise sanitaire et culturelle obligeant ou invitant à se réinventer, Le Banquet Céleste dirigé par Damien Guillon fait de nouveau le choix (après Dreams à l'automne), d’une captation live pour sa nouvelle production, consacrée aux Oratorios de Pâques et de l’Ascension de Jean-Sébastien Bach. Ce concert est ainsi donné et retransmis en direct et en rediffusion depuis l’église Saint-Germain à Rennes, en partenariat avec le Théâtre de Caen :
Damien Guillon entretient une relation particulière avec J.S. Bach, depuis son enfance. Après la Passion selon Saint Jean donnée à Rennes en 2019, le chef d’orchestre, à la tête de son ensemble Le Banquet Céleste s’intéresse à deux oratorios peu connus et pourtant d’une grande richesse musicale : l’Oratorio de Pâques et l’Oratorio de l’Ascension. Le choix d’associer ces deux oratorios est cohérent, d’une part car ces deux célébrations se succèdent dans le calendrier liturgique mais également par une cohérence musicale liée à un effectif identique : orchestre fourni, avec trompettes et timbales, chœur et quatre solistes où Bach utilise ainsi une grande palette orchestrale et vocale pour servir le texte de la liturgie. L’Oratorio de Pâques dont l’origine se trouve dans une cantate profane célébrant un anniversaire, relate la résurrection du Christ et permet ainsi au compositeur d’aller vers des passages festifs et joyeux, incluant une ouverture instrumentale influencée par le style concertant italien. L’Oratorio de l’Ascension évoque pour sa part le voyage mystique du corps du Christ vers les cieux et sa victoire définitive sur la mort. La musique navigue ainsi entre tristesse et espoir.
Dans ces deux oratorios, Bach déploie une écriture allant du grand chœur concertant avec l’orchestre, alternant avec des airs intimes dialoguant avec un instrument solo. Du début à la fin, la musique est somptueuse et Le Banquet Céleste, porteur de l’écriture de Bach, se délecte de la célébration. C’est l’église Saint-Germain de Rennes que Damien Guillon a choisi pour rassembler ses disciples musiciens. Sensible à l’authenticité, il a cherché à retrouver une acoustique peut-être similaire à celle de Saint-Thomas de Leipzig (où Bach officiait comme maître de chapelle) : une acoustique généreuse et brillante, propre aux grandes églises. La recherche d’adéquation du lieu et de la musique n’est cependant pas facile, notamment quand il faut y associer les contraintes liées au contexte sanitaire particulier et l’absence de public (atténuant la réverbération). Les musiciens se retrouvent éloignés les uns des autres, rendant une écoute entre pupitres et mise en place délicates.
Le résultat est cependant saisissant et Damien Guillon a su relever ce défi au niveau de l’orchestre constitué de 22 musiciens talentueux qui, de l’ouverture du premier oratorio jusqu’aux dernières notes du finale du deuxième oratorio, trouvent équilibre et cohésion entre les passages brillants réunissant le tutti et les airs avec instruments solistes (traverso, flûtes à bec, hautbois).
La tâche semble cependant moins aisée pour les chanteurs car la prise de risque est grande, éloignés du chef et disposés (certainement pour des contraintes liées à la captation) à l’arrière, derrière l’orchestre. À chacun de prendre possession de l’espace acoustique et de s’y adapter. Les quatre solistes, tout autant investis aussi bien dans leurs airs, récits mais également dans le chœur, sont des spécialistes de la musique baroque et sont habitués à suivre la direction précise et expressive de Damien Guillon.
La soprano Céline Scheen interprète les deux airs qui lui sont confiés avec beaucoup d’expressivité et d’émotions, le timbre de sa voix aux harmoniques lumineux se mêle au traverso. Elle surmonte avec aisance les difficultés de la ligne mélodique, notamment dans les aigus grâce à un soutien contrôlé et module la couleur de sa voix pour apporter une touche de tristesse, comme pour partager une souffrance naissante.
Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian déploie dès les premières notes une technique irréprochable et une tension émotionnelle engagée. Sa voix d’alto profonde et chaude passe malgré l’éloignement car il utilise à bon escient ses résonateurs. Dans l’air certainement le plus connu de ce programme « Ach, bleibe doch, mein liebstes Leben » (ah demeure donc ma vie chérie) car repris dans l’Agnus Dei de la Messe en si, il aborde le texte avec une intelligence dramatique. À chaque reprise de l’expression « ach bleibe », il propose une variation pour une intensité dramatique où alternent force, douceur et résignation.
Le ténor Zachary Wilder interprète le rôle de Pierre puis celui de l’Évangéliste. Le timbre de voix est clair, le phrasé mélodique soutenu et bien géré, Il maîtrise les difficultés de la partition, notamment les longues notes tenues dans le grave (qui manque cependant de puissance), l’ambitus élargi de sa tessiture, les grands intervalles et une ligne vocale dissociée de la partie orchestrale. Il reste cependant sage et réservé dans son interprétation, notamment celle de l’Évangéliste.
À la basse Benoît Arnould ne sont destinés que des récits (quelques-uns en duo avec le ténor), les partitions ne comportant pas d’air pour basse. Le chanteur ne semble pas très à l’aise et sa voix a un peu de mal à se faire entendre, son phrasé manquant d’accroche et le timbre de sa voix restant légèrement voilé.
Le Chœur Mélisme(s) préparé par Gildas Pungier est d’une grande précision dans chacune de ses interventions, attentif à la direction.
En cette période où la musique est presque réduite au silence, ce concert offre un moment de grâce. Unis, les musiciens du Banquet Céleste proposent un concert intensément humain en partageant leur passion. La joie de la Résurrection du Christ et sa victoire sur la mort résonnant dans l’église prennent alors une dimension toute particulière, avec l’espoir de jours meilleurs.