Quatuor et Nuit transfigurée de Schoenberg au Printemps des Arts de Monte-Carlo
Le Festival « Printemps des Arts » de Monte-Carlo fait de nouveau l'événement : offrant à nouveau, enfin (et toujours dans la Principauté) des concerts à vivre en direct et en présence. Le Printemps des Arts a notamment construit une partie de sa programmation autour des compositeurs Viennois (Schoenberg, Berg, Webern, ainsi que Liszt) portés pour ce concert par le Quatuor Zemlinsky. Le Festival mise ainsi, même en cette période difficile, sur des compositions fort sérieuses, résonnant avec le contraste entre les musiques postromantiques et le cadre doré de la salle Empire de l’Hôtel de Paris, face au Casino.
"Les Zemlinsky" proposent un concert « Schoenberg » constitué de l’œuvre chambriste phare du compositeur, La Nuit transfigurée (1899) pour sextuor à cordes, ainsi que d’une pièce rarement donnée qui retient aussi toute l'attention de l'auditoire : le Quatuor n°2 (1910) avec soprano. Les Zemlinsky ont pris pour leur quatuor le nom du maître de Schoenberg, dont l'ombre plane au-dessus du Quatuor n°2, empreinte de pessimisme et dont le tumulte causa un scandale lors de la première. Le concert assemble donc un chef d’œuvre connu La Nuit transfigurée avec une pièce rare et attirante, mais aussi plus hermétique. La Nuit, tonale, semble plus facile à écouter, parce qu'elle travaille des thèmes bien définis, et d'autant plus dans la lecture très claire et inspirée de la structure qu'offrent les Zemlinsky, auxquels se joignent Michal Kaňka et Josef Klusoñ du Quatuor Prazak pour former le sextuor.
La soprano n’intervient que dans les deux derniers mouvements du Quatuor n°2, tous deux sur des poèmes expressionnistes de Stefan George. Assise discrètement en retrait du quatuor à cordes au début, elle se tient debout derrière lui lorsqu’elle chante. Schoenberg envisage cette arrivée de la parole comme un quatuor-Lieder à la façon des symphonies romantiques avec chœur final. La voix, ample et homogène d’Anna Maria Pammer, est d’une très grande intelligibilité. Elle sait doser la discrétion et l’expression lyrique. Ainsi le fortissimo expressionniste : « j’entends un cri »… « Ôte-moi l’amour, accorde-moi ta paix ! », qui termine le troisième mouvement Litanie où la voix s’élève à des dramatiques et immenses aigus parfaitement placés (d'autant plus impressionnants dans le cadre d’un quatuor). Anna Maria Pammer, interprète régulière de musique contemporaine, allie qualité vocale et intelligence de jeu. Elle et les autres musiciens rappellent surtout combien la musique schoenbergienne est un organisme vivant et a besoin de la vie du concert vécu « en physique ». La physicalité de la musique, l’acoustique de cette salle sans artefact magnifie le violoncelle suave, prégnant, enveloppant. Les mouvements des musiciens, leurs respirations profondes, les regards complices des violonistes (František Souček, Petr Střížek), tout éclaircit et anime la forme –qui de complexe devient limpide– pour le public mais aussi pour les interprètes, qui vivent le moment avec un plaisir inégalé du retour au direct en concert, ainsi que nous l’a précisé le maître d’œuvre du Festival, Marc Monnet, que nous avions d’ailleurs interviewé il y a un an, pour Ôlyrix, le jour du confinement.
L'assistance réjouie le remercie d’avoir ainsi plaidé la cause de la vie culturelle et artistique. Monaco prouve, s’il fallait encore le prouver, qu’il est tout à fait possible d’ouvrir les portes au public –prise de température à l’entrée, port du masque, mi-jauge, etc.- réunissant intelligence de Marc Monnet et de son équipe, moment unique du retour à la vie, à la joie, conjonction entre la puissance de pièces à la fois sublimes et sublimées dont l’interprétation a visiblement bouleversé les auditeurs présents.