Met Stars Live in Concert : Yoncheva, des livres et des voix
Pour son récital en partenariat avec le Metropolitan Opera House de New York, Sonya Yoncheva propose une soirée hétéroclite, sans autre fil directeur que sa (déjà) riche carrière, au croisement de plusieurs styles, époques et tessitures. L'ensemble, déconcertant dès lors qu'il passe sans transition de Haendel à Puccini ou du répertoire de mezzo (Didon, Carmen) à celui de soprano lyrique (Aida, Leonora) ou soprano léger (Thaïs) a de quoi surprendre pour qui ne connaît pas le parcours sinueux et les prises de rôle très variées de l'interprète.
À ce titre, il est tentant de voir dans le choix de la Bibliothèque baroque de l’abbaye de Schussenried une métaphore de cette soirée composite : autant de livres, autant d'histoires variés et rassemblées sous un même toit ; autant d'opéras, autant de rôles auxquels la cantatrice prête son corps et sa voix.
La chanteuse entame son récital avec le premier air d'Aida ("Ritorna vincitor !" Verdi), rôle qu'elle prévoit d'interpréter aux Arènes de Vérone cet été avec Riccardo Muti, avant de revenir au Met pour Élisabeth de Valois dans une nouvelle production de Don Carlos la saison prochaine, et Madame Butterfly ultérieurement explique Christine Goerke, présentatrice de la soirée. La voix, plus stable et moins lourde que lors de ses récentes apparitions, séduit immédiatement. Outre le timbre reconnaissable, c'est le soin du mot, la grande clarté de la diction qui permettent de profiter des enjeux dramatiques, qualité qui se retrouvera dans toutes les autres langues abordées. Néanmoins, des problèmes de souffle se font sentir où la prudence de l'artiste est perceptible, notamment lorsqu'elle attaque l'air de Leonora ("Tacea la notte placida" Verdi, Le Trouvère) et celui de Mimi ("Donde lieta uscì" Puccini, La Bohème). Si le bas du registre aigu est clair, rond et produit avec une aisance apparente, le passage à l'aigu semble lui plus compliqué : un vibrato lent s'installe régulièrement sur les notes tenues et la chanteuse est souvent contrainte de les écourter tout comme la fin de certaines phrases, quitte à respirer à des endroits indus pour émettre le haut du registre. C'est d'autant plus regrettable que l'artiste apparaît en bonne forme et propose une balade émouvante entre plusieurs personnages dont elle maîtrise avec grande intelligence les dimensions musicale et théâtrale.
C'est avec le chant à la lune (Dvořák, Rusalka) que la musicienne semble retrouver une confiance en son instrument et se laisse porter par une musicalité plus audacieuse. La souplesse revient de fait, ainsi qu'une légèreté bienvenue, rendant homogénéité et brillant à toute la tessiture. Cependant, les dernières incursions dans le vérisme (Le Villi, Madama Butterfly) ramènent immédiatement les difficultés, notamment un souffle récalcitrant. Les airs baroques (Dido and Aeneas, Rinaldo), eux, sont chantés avec goût et empathie, mais paraissent trop grave pour une voix qui s'épanouit pleinement dans le haut médium. Néanmoins, chantés comme des berceuses, ils émeuvent, tout comme le répertoire français que la chanteuse maîtrise admirablement. Sa Thaïs est pleine de superbe et d'angoisse, tandis que sa Manon lui arrache des larmes qu'elle peine à contenir avant d'achever le récital avec le célèbre air de Carmen ("L'amour est un oiseau rebelle" Bizet).
Le pianiste, Julien Quentin, est scrupuleux et attentif, et d'autant plus méritant qu'il sait passer d'un style à l'autre avec rapidité et efficacité. Ses variations dans l'air de Rinaldo se marient très bien avec celles de la chanteuse, communion qui se retrouve dans leurs regards et dans l'Hymne à l'amour, leur seul bis, où la complicité des deux artistes achève de ravir. Sonya Yoncheva présente le bis sans voiler sa tristesse, sans voiler non plus l'état du monde culturel, et rappelle avec une fausse naïveté l'importance de l'amour et du partage -ce sont moins ses mots que le déroutant sourire de son visage, pleine de ce qu'elle a voulu transmettre, plein de ce qu'elle rêve de transmettre encore, qui se grave dans nos mémoires.
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