Piazzolla puis Monteverdi au chevet du Teatro Colón
La léthargie du Teatro Colón prendra en réalité fin dès le mois de mars, pour l’ouverture d’une saison 2021 qui n’en sera pas vraiment une compte tenu des annonces faites fin décembre. Dans ce temple tout entier dédié à Verdi, le nom du compositeur d’Aida (opéra qui fut joué le jour de l’inauguration du théâtre le 25 mai 1908) est placé, en dessous la grande coupole signée de Raúl Soldi, en plein centre, juste au dessus de la scène : le mélomane chercherait en vain le nom d’un musicien du Nouveau monde en suivant du regard la circularité de la coupole. Se trouvent-là Verdi, Mozart, Beethoven, Wagner, Rossini, Bizet, Chopin, Gounod : seuls les noms de compositeurs européens s’y trouvent. Ce qui n’avait pas manqué de choquer tel musicien caribéen se produisant sur la scène du Colón, estimant qu’Astor Piazzolla y aurait toute sa place. Ce mois de mars sera donc une renaissance double : celle du théâtre lui-même mais aussi celle d’Astor Piazzolla, né un 11 mars à Mar del Plata, station balnéaire située à environ 400 km Buenos Aires, il y a tout juste 100 ans. La commémoration de la naissance de ce maître du tango, qui s’était produit sur la scène du Colón le 11 juin 1983, sera échelonnée du 5 au 20 mars sur pas moins de 14 concerts, tous différents dans leur format, les formations qui s’y présentent, et les répertoires qui seront interprétés. Notons que la première date, marquant la réouverture du théâtre, comptera avec la présence symbolique sur scène de l’Orchestre permanent du Teatro Colón pour un programme « Piazzolla symphonique ». Tous ces spectacles seront naturellement représentés selon le protocole relatif aux règles sanitaires en vigueur (jauge partiellement limitée pour assurer la distanciation sociale, port du masque et usage de gel). Il est prévu que cette série de concerts soit également retransmise en streaming.
C’est bien musicalement que le Colón va enfin sortir de sa léthargie, car le théâtre lui-même, tant l’édifice que certains personnels qui y travaillent, a été réquisitionné par son propriétaire (le gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires) comme centre de dépistage du Covid-19, ce qui n’a pas été sans provoquer la colère du monde lyrique et celle de chanteurs foulant régulièrement la scène de la grande salle du Colón en particulier. Le collectif CLARA (Chanteurs Lyriques Associés de la République Argentine) diffuse ainsi sur les réseaux sociaux des argumentaires en faveur de « la réouverture des théâtres avec protocoles » sanitaires sur tout le territoire argentin, en prenant en compte « la reprise urgente de cette mission que ces institutions ont pour le développement cultuel et éducatif d[u] pays. » De fait, des orchestres de province comme ceux de Mendoza, Mar del Plata et Tres de Febrero, tout comme l’opéra de Rosario El Círculo, ont déjà repris certaines de leurs activités sous couverts de protocoles stricts. C’est bien la situation de la capitale, Buenos Aires, où nombre de spectacles théâtraux ont également repris sur l’Avenida Corrientes (le Broadway argentin), qui cristallise toutes les critiques : curieusement, une institution publique comme le Teatro Colón a paradoxalement et continuellement fermé ses portes aux chanteurs, danseurs et musiciens et à leur public, sauf à permettre à certains d’entre eux de s’y rendre dans l’unique but de se faire tester au Covid-19, comme si d’autres lieux de la capitale ne pouvaient pas être réquisitionnés pour cette fonction certes utile mais qui prive tout un secteur, absolument exsangue, de ressources économiques (le statut d’intermittent du spectacle n’existant pas en Argentine).
Un retour aux sources avec Monteverdi
Ces manifestations d’humeur légitimes, intelligemment accompagnées de mini-récitals, en ligne ou sous forme de spectacles sauvages de rue (Líricos a la gorra), semblent avoir été entendues. Le Teatro Colón rouvrira ses portes aux artistes et au public d’ici maintenant quelques jours. Les amateurs de chant lyrique devront toutefois patienter jusqu’au mois d’avril, où le Directoire du Teatro Colón a secrètement mis en chantier un spectacle consacré à Monteverdi. Aucune information n’avait jusqu’ici fuité. Mais nous sommes en mesure d’annoncer qu’il s’agira d’extraits d’œuvres de Monteverdi rarement programmées, dont le ballet de cour Il Ballo delle Ingrate (1608) et Il combattimento di Tancredi e Clorinda (1624), tiré d’un passage de La Jérusalem délivrée du Tasse. Ce sera une production 100% argentine. Marcelo Birman, qui a fondé un ensemble spécialisé dans l’interprétation d’œuvres des XVIIe et XVIIIe siècle, assurera la direction d’orchestre. Ce chef est par ailleurs Directeur de l’enseignement artistique au sous-secrétariat à la Culture au sein du gouvernement de la Ville de Buenos Aires (où le maire est à la tête d’un gouvernement d’adjoints qui ont le rang de ministres). Pablo Maritano, très investi dans le même type de répertoire que Marcelo Birman, aura à sa charge la mise en espace du spectacle.
Le plateau vocal se composera d’artistes locaux : on y retrouvera de grandes figures du chant lyrique argentin habituées des scènes nationales et internationales, et en particulier des planches du Teatro Colón. Du côté des femmes, les rôles phares seront chantés par les sopranos Oriana Favaro (entendue dans Candide au Teatro Coliseo, Powder Her Face au Centro Cultural 25 de Mayo, le Requiem de Mozart et le cast B des Contes d’Hoffmann au Teatro Colón) et Daniela Tabernig (Les Saisons de Haydn, Powder Her Face). Les rôles masculins seront interprétés par les ténors Santiago Martínez (Candide, Turandot, Ariane à Naxos, Mitridate) et Pablo Urban (Candide et Ariane à Naxos), les barytons Alejandro Spies (Le Petit Prince, Les Contes d’Hoffmann) et Víctor Torres (Un Roi à l’écoute de Luciano Berio, le cast B de Don Pasquale, Le Bal d’Oscar Strasnoy), le baryton-basse Hernán Iturralde (Les Saisons de Haydn, Powder Her Face, Un Roi à l’écoute de Luciano Berio, Ariane à Naxos) et, enfin, la basse Iván García (Le Petit Prince, Ariane à Naxos, El Cimarrón de Hans Werner).