Un Elixir d’amour au TCE : ne manquent que les enfants
Comme chaque année désormais, le Théâtre des Champs-Elysées propose au printemps un opéra participatif tout public en partenariat avec l’Opéra de Rouen. Hélas, il est impossible cette année de convier les enfants à cet événement. C’est donc devant un parterre de caméras que les représentations ont lieu, en vue d’une diffusion sur la plateforme scolaire Lumni et d'une édition en DVD plus tard dans l’année. Seulement, les caméras ne chantent pas : l’opéra participatif manque donc de participation, même si le chef se retourne vers la salle lors des passages que les enfants seront invités à chanter devant leur écran. Les caméras ne rient pas, non plus. Cette gaité des spectateurs en culottes courtes se fait cruellement ressentir lorsque les situations du livret ou de la mise en scène appellent à s’esclaffer mais les interprètes parviennent heureusement à maintenir le rythme précis et délicat demandé par l’exercice comique. Comme le ferait un enfant, une des caméras reste toutefois retournée pendant tout le spectacle, mais c’est pour filmer la traduction instantanée en langage des signes, qui sera proposée sur le DVD.
Le metteur en scène Manuel Renga place son intrigue dans une usine de sirop pour la toux, manifestement inspirée des Temps modernes : la caractérisation des personnages, leurs mouvements chorégraphiés et proches du mime, empruntent d’ailleurs à Chaplin. Un tapis roulant file cette ressemblance et apporte du mouvement dans un décor fixe tout en créant nombre de situations fantaisistes. Malgré les contraintes sanitaires, l’ensemble a manifestement pu être travaillé en profondeur, pour un résultat réglé comme une horloge. Le livret est adapté en français et réduit à une heure par Henri Tresbel, déjà impliqué sur les précédentes productions participatives. L’expérience porte ses fruits et offre au spectateur une claire compréhension de l’intrigue et un fin jeu de sonorités, et aux chanteurs une prosodie fluide.
La réduction orchestrale parvient à rester équilibrée. L’ensemble Les Frivolités Parisiennes, dirigé par Marc Leroy-Calatayud, tire même profit de cette adaptation pour apporter de la subtilité à une partition qui n’en manque déjà pas. Les ensembles sont bien en place et le plateau vocal propose un français très distinct, qualité si importante pour permettre aux enfants d’apprécier l’œuvre. Accompagnés de trois comédiens, ils s’engagent pleinement dans le parti-pris comique, presque circassien, de la mise en scène.
Sahy Ratia campe un Nemorino candide, au stress un rien surjoué. Par son timbre riche, légèrement ténébreux et son vibrato léger, il dote le jeune homme d’une mélancolie douce-amère touchante. La conduite très travaillée de son phrasé, sa ligne souple et nuancée, souligne quant à elle la sensibilité du personnage. Norma Nahoun chante Adina avec la pointe de minauderie nécessaire, en évitant malgré tout le piège de la caricature. Sa voix piquante et charmante, pure et vibrante se rit des vocalises de la partition, qu’elle exécute avec agilité.
Jean-Christophe Lanièce semble s’amuser en Belcore. Sa voix brillante se trouve à l’aise dans des vocalises bien détachées. Thibault de Damas est un Dulcamara plein d’emphase théâtrale. Sa voix, très claire, manque toutefois d’ampleur, notamment dans les extrêmes, du fait d’une couverture vocale très prononcée.
Le chœur est assuré par Sara Gouzy (qui chante aussi Giannetta d’une voix acidulée et bien émise), Natalie Pérez et Dima Bawab, qui s’impliquent également dans les mouvements scéniques. Leur ensemble porte peu les passages dévolus aux enfants, mais construit un chœur cohérent durant la fête.
Certes, l'expérience digitale ne saurait remplacer une présence en salle, l'expérience commune d'une joie partagée. Mais cette captation fera sans aucun doute le bonheur des enseignants qui disposeront d'un outil pédagogique de grande qualité artistique, et qui devrait capter l'attention des élèves.