Docteure Roselyne et Madame Bachelot
“J’allais au spectacle tous les jours. Depuis que je suis Ministre de la Culture, je n’y vais plus. C’est plus qu’un paradoxe !” Là n’est pourtant pas le seul paradoxe qui oppose la “cultureuse” (sic) Roselyne Bachelot et la femme politique Ministre de la Culture. "Pour beaucoup de Français, la fréquentation des lieux culturels n'est pas une quotidienneté", explique Roselyne Bachelot, mais "ne m'enfermez pas dans le débat essentiel / non-essentiel", lui répond, entre autres exemples, la Ministre de la Culture.
Roselyne Bachelot rappelle ainsi d’emblée combien la visibilité et l’anticipation sont essentielles pour gérer la crise, et en même temps, la Ministre de la Culture martèle : “Je ne donne pas de chiffre”, “Je ne donne pas de date ! [...] Ne m’enfermez pas dans des échéances.” Roselyne Bachelot se veut optimiste, espérant une réouverture d’ici à “quelques semaines” pour les musées et monuments : elle estime à deux ou trois semaines le temps nécessaire pour permettre cette réouverture à partir du moment où une décrue sera visible sur le front sanitaire, dont elle estime la situation “encore très mauvaise”.Or, les musées rouvriront avant les cinémas, eux-mêmes devant précéder les salles de spectacle vivant. Toujours pas de visibilité ni de certitude pour les directions d’opéras qui en auraient cruellement besoin, donc, bien qu’il soit déjà acquis (en s'en tenant à ces propos et à cette logique) que leurs salles ne pourront pas accueillir du public avant deux mois au bas mot.
Après tant de jours d’indécisions ou de décisions contradictoires et surtout en contradiction avec les faits, les réponses de la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot semblent davantage adressées à elle-même qu’à ses interlocuteurs. Tiraillée entre ses envies de mélomane et ses obligations professionnelles, entre ses convictions et sa fonction, mais surtout entre les faits et les décisions de son gouvernement, Roselyne Bachelot passe ainsi toute l’interview à se contredire elle-même.
La Ministre de la Culture argue du fait qu’il existe des “structures très diverses et toutes ont des caractéristiques différentes pour la réouverture : il y a des grands musées, il y a des petits musées”, ce à quoi Roselyne Bachelot répond : “Il n’y a pas de petits et de grands musées. L’idée selon laquelle les grands musées seraient plus dangereux ou moins dangereux : je ne rentre pas dans cette fausse logique”, en ajoutant immédiatement ensuite que cette “fausse logique avait prévalu lors de la première réouverture et cela ne me paraît pas efficient”. Roselyne Bachelot aura ainsi réussi en une seule réponse à se contredire elle-même non seulement dans son discours actuel mais aussi avec son discours précédent et en même temps avec son gouvernement qui a considéré que la surface comptait, en fermant les centres commerciaux non alimentaires au-delà de 20.000 m². La Ministre de la Culture défend donc un traitement indifférencié entre le Musée du Louvre (le plus grand musée du monde avec 72.735 m² de surface de galeries) et le plus petit musée de France, qui retrace l'histoire du village d'Albaret-Sainte-Marie et du Gévaudan en Lozère sur 12 m².
“Il faut quand même avoir une visibilité sur une quinzaine de jours, disons sur le Stop & Go”, poursuit alors la Ministre qui répète pourtant depuis sa nomination qu’il faut éviter à tout prix ce Stop & Go (tout en ne prenant que des mesures de Stop & Don’t Go). Concernant le protocole de réouverture, la Ministre de la Culture temporise, expliquant qu’il faut le temps de “se préparer avec un certain nombre de conditions pour les salariés, des jauges, et des protocoles sanitaires.” Roselyne Bachelot lui répond que “les guides de bonne pratique qui avaient été établis lors de la première fermeture pour la réouverture [sic] restent plus que jamais d'actualité. Le monde de la culture a beaucoup travaillé sur le sujet.” Ainsi, la Ministre cite des mesures qui sont “sur la table” alors que Roselyne Bachelot lui dresse la liste de ces mesures, déjà prêtes et éprouvées dans l'entre-deux-confinements (distanciation, régulation des flux, invitations numériques, etc.).
La Ministre de la Culture qui annonce à nouveau les études scientifiques en cours, évoque même cette fois l’étude menée par la Philharmonie de Paris avec Dassault, alors même que Roselyne Bachelot sait sans doute que l’étude a déjà rendu ses conclusions : la situation y est comparable au plein air. La mélomane explique toute la complexité qu’il y a à gérer les grands festivals et concerts “debout” parce qu’ils “brassent des dizaines de milliers de personnes qui peuvent s’agglutiner au pied des scènes, et non pas une jauge de 1.000 ou 1.500 personnes assises”, situations dans lesquelles “il n’y a pas grand problème”, ce qui devrait donc inciter la responsable politique à rouvrir ces salles.
En attendant, la culture se maintient en streaming, autre source de contradiction. "Je travaille en créant une chaîne avec Delphine Ernotte [Présidente de France Télévisions, ndlr], qui permet aux artistes de s’exprimer, de faire des spectacles”, se félicite la Ministre de la Culture, sauf que Roselyne Bachelot téléspectatrice a sans doute constaté que la chaîne Culturebox n’a (pour l’instant ?) fait que retransmettre des spectacles captés depuis plusieurs mois ou années et un seul concert en direct (pour son inauguration). Aucun spectacle n’a été “fait pour cette chaîne”.
“Tenir compte des contraintes sanitaires et faire en sorte que les activités culturelles continuent de la meilleure façon”, conclut cette interview en une ultime illustration de la dichotomie régnant derrière un même front, triste illustration de la polyphonie dans une même voix. Au final, si Madame Roselyne Bachelot et la Ministre de la Culture doivent ainsi se répondre l’une l’autre, c’est bien que les décisions manquent de cohérence et sont prises ailleurs.