La voix de Pascal Dusapin, Concert d’ouverture du Festival Présences 2021 de Radio France
Le concert est rythmé également par la belle voix grave de Dusapin, revenant sur sa carrière, ses goûts avec intelligence, légèrement cabotin. Mais c’est aussi un hommage aux amis, compositeurs ou interprètes, qui l’ont accompagné pendant déjà quarante ans de création. Cependant, pandémie oblige, le concert a lieu sans public et la programmation ainsi que la distribution initiale ont dû être modifiées. Ainsi Georg Nigl, qui a créé plusieurs opéras du compositeur, est remplacé par Paul Gay, et la Maîtrise de Radio France a dû renoncer à venir chanter une composition de Kaija Saariaho.
Dans ce concert fleuve (près de 3h), la voix occupe une place relativement modeste. D’autres instruments sont à l’honneur comme l’orgue (Buxtehude interprété par Bernard Foccroulle) ou encore la trompette associée aux timbales (Attacca de Dusapin). Le violoncelle, avec la pièce Immer de Dusapin, trouve en Sonia Wieder-Atherton une interprète impressionnante : tout le corps de la violoncelliste est sollicité par la musique, ici sombre et grinçante. Les difficultés techniques (harmoniques, rythmes, intonation) sont intégrées dans un geste puissant et très expressif, assez lyrique.
En dehors des œuvres de Dusapin, la soirée permet également de faire se rencontrer des musiques contemporaines très différentes. Ainsi Crepuscular pièce pour piano seul d’Amy Crankshaw, créée avec grâce par Vanessa Wagner. La musique en est colorée, jouant sur les résonnances de l’instrument, porteuse d’image et de sensations. À l’opposé se trouve Jades, œuvre pour flûte, clarinette, guitare et deux violoncelles de Paul Mefano compositeur mort il y a quelques mois : bien plus austère, la musique est complexe, technique (comme cela se voit à la battue concentrée de Léo Margue dirigeant l’Ensemble 2e2m), d’une densité qui la rend difficile d’accès.
Hélas pour la voix, la création de Dusapin La Vita sognata tombe un peu en retrait. Plutôt que les pages de Virgile ou de Woolf lues par Florence Darel (femme du compositeur), les textes du cycle de la poétesse italienne Antonia Pozzi que Dusapin dit “d’une beauté à couper le souffle” aurait donné envie. Car Françoise Kubler tente de s'exprimer avec engagement sur une musique le permettant (car très proche de la déclamation), mais les mots ne surgissent pas. Dans la salle, l’équilibre entre la voix fragile de la chanteuse et l’ensemble a dû mal à se faire, surtout dans le bas medium de la soprano (plus puissant quand il est parlé) qui sonne creux et faible alors que les notes tenues vibrent sans contrôle. Pourtant Franck Ollu et l’ensemble Accroche Note rendent justice à cette musique dans laquelle passent une noirceur et une mélancolie, musique frémissante et grave (au sens propre, le compositeur utilisant une clarinette basse à cet effet) mais qui perd de sa saveur sans son texte. Le compte y est davantage dans Anacoluthe où Françoise Kubler est entourée seulement d’une clarinette et d’une contrebasse. Le texte passe mieux, l’habitude de chanter cette pièce aidant sans doute, notamment dans les parties parlées, la voix chantée restant un peu floue et instable. La chanteuse parvient pourtant à faire passer ce texte fait de ruptures syntaxiques, dans des éclats saisis au hasard.
Le baryton-basse Paul Gay, quant à lui, prête sa voix sombre et résonnante à la fois aux extraits du Winterreise de Schubert et à ceux du cycle O Mensch ! de Dusapin. Le cycle de Schubert est pris dans des tonalités très graves qui conviennent bien au chanteur, malgré cela certaines notes un peu hautes sont un peu poussées et dures. La présence sobre du chanteur est toutefois appréciée, comme le soin apporté au texte mais la brièveté des trois extraits rend difficile une véritable immersion dans l’univers du Winterreise malgré le beau piano de Vanessa Wagner. Les mélodies de Dusapin montrent le baryton-basse un peu à la peine dans le haut-médium et les aigus, la voix manquant parfois de conduite dans la ligne de chant. L’investissement des mots reste fort mais laisse là aussi regretter l’absence de traduction alors qu’à nouveau, le texte est parfaitement compréhensible dans l’écriture de Dusapin.
Une soirée fleuve à l’image du compositeur dans sa variété, l’exigence de l’écriture, sa fidélité à ceux qui l’ont accompagné et la mélancolie noire qui traverse la plupart de ses pièces.