Titon et l’Aurore au Comique, une étoile dans la nuit
Les caméras installées au parterre et au balcon occupent les meilleures places de la Salle Favart : quitte à offrir cette découverte de Titon et l’Aurore de Mondonville à son public confiné, l’Opéra Comique en profite pour autoriser le réalisateur de la captation à chercher des angles impossibles à proposer aux téléspectateurs lorsque le public est présent. La réalisation impressionne et immerge dans cet univers visuel et sonore, même devant le petit écran, donnant une impression qui se confirme et se renforce dans la salle.
La mise en scène de cette redécouverte (la dernière représentation de l’œuvre s’est tenue en 1768) est confiée au marionnettiste Basil Twist, qui invente un spectacle féérique : l’œuvre, qui fut à l’époque l’objet de la fameuse Querelle des Bouffons, entre adeptes du style français et tenants du genre italien, offre aux amateurs de mises en scène traditionnelles des arguments de choix face aux défenseurs du modernisme. Les riches costumes (féminins notamment) et les effets scéniques ingénieux soignent une esthétique assumée, qui passe parfois près du kitch sans y sombrer grâce à un humour léger. Les marionnettes, animées par diverses techniques, sont tantôt enchanteresses, champêtres, drôles ou inquiétantes, voire crues lorsqu’elles démontrent les pouvoir de l’Amour en passant en revue le Kamasutra.
Le rôle de Titon est confié à Reinoud van Mechelen, qui l’interprète avec nuances et subtilité, d’un médium brillant et finement couvert, jusqu'à des aigus légèrement forcés dans son dernier air. L’autre rôle-titre, Aurore, est attribué à Gwendoline Blondeel dont la fine ligne vocale au léger vibrato reste très articulée et s’autorise de beaux éclats vocaux dans les vocalises. Théâtrale, elle marque la colère de son personnage par une altération (parfois trop prononcée) de sa voix.
Marc Mauillon est un Eole expressif à la voix très projetée, qui sollicite sa large tessiture du baryton appuyé au ténor éclatant. Les extrêmes graves de la partition le mettent en revanche en difficulté. Il forme un duo à la fois terrible et drôle avec Emmanuelle de Negri en Palès, qui appuie son chant grâce à des attaques percutantes. Sa voix charnue est colorée, tandis que sa scansion porte le texte, à la fois dramatiquement et musicalement.
Renato Dolcini assume en Prométhée une large partie du Prologue. Il plonge dans de suaves graves avec assurance, bien servi par un souffle maîtrisé, puis remonte vers des aigus larges. Entre les deux toutefois, les médiums manquent d’assise. Décidemment, Julie Roset aime chanter l’Amour : du haut de ses 23 ans, elle devait déjà interpréter le rôle homonyme du Couronnement de Poppée à Aix l'été dernier, et chantait avant celui des Indes galantes à Beaune (mais elle était aussi Aurore dans La Finta Pazza à Dijon !). Elle expose de charmantes vocalises d’une voix pure, mais ne manquant pas de corps pour autant. Seuls quelques ports de voix moins maîtrisés du fait d’un souffle un peu court entraînent des défauts de justesse. Les trois nymphes, Virginie Thomas aux lignes vocales brodées et au timbre acidulé, Maud Gnidzaz à la voix fine et au vibrato frémissant, et Juliette Perret aux trilles et vocalises légers et à la voix ténébreuse, unissent leurs voix à merveille.
William Christie (saisissant, en salle comme en vidéo) dirige ses Arts Florissants d’un geste décidé et vif, écartant les bras pour embrasser l’éclatante musique si longtemps oubliée de Mondonville, ou joignant ses mains pour faire balancer le son d’un pupitre à l’autre. Il en obtient une précision extrême de ses musiciens, qui déploient énergie et virtuosité. Le Chœur de l’ensemble est animé d’une même flamme : les artistes qui le composent restent très ensemble sauf lorsque leur implication dans l’animation des marionnettes les perturbe légèrement. Les sonorités générées sont à la fois raffinées et relevées.
À l’issue de la représentation, les claquements de mains clairsemés des quelques personnes présentes, qui clôturent désormais la plupart des spectacles dans un moment de gêne, étaient proscrits : c’est en musique et en danse, dans la bonne humeur, que les artistes ont pu refermer leur prestation (tandis qu'un postlude de la vidéo renforce la tonitruance des applaudissements que les artistes s'adressent entre eux, pour cette nouvelle aurore artistique parmi tous ces crépuscules culturels).