Le Destin du Nouveau Siècle se joue à Versailles !
Dirigé par Patrick Bismuth, l’ensemble La Tempesta et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles font revivre la partition inédite de l’opéra du fameux compositeur provençal de musique baroque André Campra intitulée Le Destin du Nouveau Siècle, d’après la pièce de théâtre éponyme en vers du jésuite Jean-Antoine du Cerceau. Joué à huis clos face à quelques journalistes et mécènes, l’opéra a pu néanmoins être donné et le projet mené à bien grâce à la volonté de Laurent Brunner, Directeur de Château de Versailles Spectacles, de maintenir les productions au sein de l’Opéra Royal, malgré (et en suivant) les restrictions imposées par la situation sanitaire.
Sous la direction impétueuse de Patrick Bismuth, l’ensemble fait entendre une belle cohésion des voix et des sons, les arabesques de la musique baroque sont interprétées avec beaucoup de dynamisme par les cordes qui virevoltent au gré d’un rythme imperturbable. À cause de la situation sanitaire, le ballet n’a pas pu être représenté, et toute mise en scène a dû être oubliée. L’on assiste alors à un opéra réduit à sa version concert, filmé et enregistré pour un enregistrement discographique et en vue d’une diffusion audiovisuelle.
Les mystères de l’écriture et de la composition de cet opéra, exhumé des archives de la médiathèque de Saint-Denis il y a peu, se révèlent ainsi musicalement (et nous en dévoilons ici). Sous l’emblème « Musique intempestive », Patrick Bismuth et Hélène Houzel s’attachent à redonner vie aux musiques instrumentales et vocales des XVII et XVIIIème siècle. Malgré l’annulation de la mise en scène de Jean-Daniel Laval et de la chorégraphie d’Irène Ginger, l’opéra, porté par le chœur, l’orchestre et les solistes Claire Lefilliâtre, Marc Mauillon, Julie Hassler, Jean-François Novelli et Thomas Van Essen, est représenté avec magnificence musicale et impétuosité interprétative. Dès l’ouverture, les manches rouges du chef d’orchestre s’agitent avec vigueur, comme sur des ressorts : Patrick Bismuth s’élance, et sautille au fil de la musique, semblant faire corps avec le rythme. Il est d’ailleurs remarquable de noter que l’énergie ne s’essouffle pas à un seul moment, d’un bout à l’autre de l’opéra. La complicité des membres de l’ensemble est palpable et permet aux auditeurs de passer un moment agréable aux sons du théorbe, du clavecin et des flûtes anciennes.
Marc Mauillon, allias Mars, laisse entendre une amplitude vocale large et homogène, la puissance de ses graves n’enlève rien à la clarté de son élocution. L’articulation rend le texte de du Cerceau parfaitement intelligible et permet d’apprécier la beauté des vers. S’ensuit un duo de sopranos gracieux et enlevé. Le chœur reprend avec émotion les airs entonnés. L’interprétation du contre-ténor des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles Lewis Hammond est aussi remarquable, ses aigus résonnent avec justesse et sans efforts, portés par la facilité d’un timbre particulier et mis en valeur avec élégance. Le chœur chante avec homogénéité et permet de percevoir les paroles même lors des canons. Le travail de l’articulation du texte est exceptionnel. « Unissons ! » et « Chantons ! » répète à pleine voix le chœur dans une mise en abyme des paroles et de la manière de les interpréter.
En ce début d’année, les paroles de Mars, interprétées par Marc Mauillon, résonnent avec une dimension particulière : « Que cet âge nouveau soit un âge de gloire (…) qui, par des faits nouveaux efface la mémoire ». Allant à l’encontre de toute primauté de la musique sur le texte ou du texte sur la musique, les chanteurs révèlent l’harmonie réalisée de l’écriture dramatique et de l’écriture dramaturgique. Ainsi, s’amusant de toute mise en abyme possible, Marc Mauillon interpelle le peuple, et l’auditoire lui-même se sent concerné : « Venez, accourez tous, répondez à ma voix, c’est Mars qui vous appelle ! ». Dès lors, les sons et les percussions répondent aux voix.
Florie Valiquette interprète la Paix et une Parque, présidant au destin du nouveau siècle. Soprano concise, la mélodie qu’elle entonne est réalisée avec finesse, raffinement et sans débordements. Le texte chanté est intelligible, et ce tour de force n’est pas compensé par un défaut de puissance. Au contraire, elle affirme son coffre sans que la puissance vocale ne crée de bavures au niveau du texte. Claire Lefilliâtre, quant à elle, interprète tour à tour Pallas, Bellonne et la Gloire. D’une voix plus mûre, avec une couleur plus ronde, elle chante le texte d'une diction tout aussi précise que les autres solistes, chacun ayant sa personnalité vocale. Son chant est particulièrement virtuose lors des vocalises rythmées sur le mot « Folie ». Elle donne sa place et sa valeur à chaque note dans les gradations chromatiques.
Le ténor Mathias Vidal entre ensuite en scène, il s’affirme par une puissance vocale débordante, qui gagnerait sans doute à être davantage réprimée par souci d’homogénéité. Néanmoins, son élocution n’en pâtit pas, et son lyrisme exacerbé lui donne une personnalité vocale intéressante. Thomas Van Essen, baryton, interprète Vulcain et un guerrier. Il met particulièrement en valeur l’articulation, quitte à parfois baisser un peu sa puissance vocale pour être parfaitement compris. Pointilleux sur la rythmique, il contribue à donner de l’entrain et du mouvement à l’opéra. Il a le mot de la fin, avec l’invocation aux déesses : « Ô Minerve, Ô Pallas, Ô déesses puissantes, ne nous abandonnez jamais ! », élaborant une gymnastique vocale spécifique, il ouvre grand la bouche afin de réaliser avec justesse toutes les voyelles, par une diction impeccable.
Lors de cette représentation intime, l’auditoire est constamment traversé par le rythme frénétique de la musique de Campra et ravi par l’impétuosité du chef d’orchestre. Le Destin du Nouveau Siècle, ce chef-d’œuvre de l’opéra baroque, sera prochainement disponible en disque sur le foisonnant label Château de Versailles Spectacles et en retransmission vidéo (nous vous en tiendrons informés).