Le chef prodige Klaus Mäkelä sauve le Jour 2 de la 2ème Biennale Boulez
Klaus Mäkelä remplace en effet Ludovic Morlot retenu à Los Angeles par les restrictions frontalières. Pourtant, le jeune chef ne change pas le programme prévu (rappelant l'intérêt d'avoir un Directeur musical à demeure et toujours en avance sur son temps) pour ce 2ème Jour de la 2ème Biennale Boulez (à vivre en intégralité sur Ôlyrix). Mäkelä en renforce même l'esprit en opérant une seule substitution de morceaux : remplaçant La Cathédrale engloutie de Debussy (compositeur demeurant au programme avec La Mer) par Les Offrandes oubliées de Messiaen (professeur de Boulez au Conservatoire).
Le programme présente ainsi les héritages de Boulez avec les maîtres qui l'ont inspiré comme compositeur et auxquels il a également rendu hommage en tant que chef d'orchestre. Le 2ème Jour de la 2ème Biennale Boulez est ainsi un immense passage de bâton, de Ravel, Debussy et Messiaen à Boulez-compositeur et de Boulez-chef à Klaus Mäkelä.
La Grande Salle "Pierre Boulez" de la Philharmonie offre ainsi à nouveau cet effrayant plaisir d'une salle condamnée qui continue à vibrer. Les sièges du parterre qui manquent tant aux mélomanes ont été ôtés pour permettre aux musiciens de se distancier autant que nécessaire (mais bien moins que cette distance avec le public est terriblement ressentie).
Comme en réponse trompettante à la situation actuelle, ce sont les cuivres, seuls, debout, illuminés dans le noir de la salle qui rompent le silence : eux qui ont été tant pointés du doigt, et qui peuvent jouer dans ce lieu où la science explique que les conditions sont les mêmes qu'en plein air. Les instruments (dans cette œuvre initiale bien-nommée Initiale pour septuor de cuivres de Pierre Boulez) ont d'autant plus besoin de temps pour s'échauffer, mais ils gagnent en précision et en déploiement : aussi bien vers des vagues wagnériennes que des jeux de timbres volontiers grinçants. Les cordes s'illustrent ensuite, sur Les Offrandes oubliées de Messiaen dans un grand unisson rythmique et harmonieux sur son lit de bois (mais tendre et moelleux).
Klaus Mäkelä dirige son Orchestre de Paris et ce répertoire de France qu'il s'est approprié, avec autant de précision que d'élans. Les élans sont d'abord ceux de la longueur, de toute la longueur de sa fine baguette, tendue de toute la longueur de ses bras, élancés comme son corps long, rendant d'autant plus violent et saisissant l'immense et terrible coup tonnant soudain, ouvrant vers des séquences paisibles (dans toutes les œuvres du programme).
Le pianiste Pierre-Laurent Aimard entre en scène pour le Concerto pour la main gauche de Ravel. Ce Concerto fut écrit pour le pianiste autrichien Paul Wittgenstein qui avait perdu son bras droit durant la Première Guerre Mondiale, il permet aussi en ces temps de Covid de garder une main pure, loin de tout contact avec l'instrument. La main droite toutefois joue pleinement son rôle, contribuant à l'énergie : elle se pose, se lève, se serre, nourrissant l'énergie de la main gauche qui en a bien besoin pour balayer tout le clavier avec une énergie martelée voire frénétique. Pierre-Laurent Aimard conserve sa précision dans toute cette intensité, propulsant même tous les accents par des inspirations sonores (comme s'il voulait humer, sniffer chaque son pleinement).
Le lyrisme vocal est entièrement dévolu à la cantate de Pierre Boulez Le Soleil des eaux (sur des poèmes de René Char, tout comme le fameux cycle Le Marteau sans maître). Elle est entièrement déployée par la soliste mezzo qui aborde cette partition faite pour une soprano, mais en fait pour toutes les tessitures féminines. Christel Loetzsch assume en effet la partie de bravoure qui lui est demandée, balayant un ambitus démesuré, du grave profond aux suraigus, souvent au cours d'une même phrase et plusieurs fois en quelques notes. La chanteuse remplit son office en exécutant pleinement sa ligne (ce qui est déjà une performance en soi) mais elle offre de surcroît des intentions marquées et même de la sensualité.
Le Chœur accentus veille à son installation scrupuleuse (distancié dans les travées derrière la scène), mais les voix restent tout aussi distantes. Les sons se fondent et se perdent dans les timbres sonores des instruments avec lesquels ils devraient dialoguer. Les paroles sont indistinctes, mais parfois quelques couleurs et intentions passent tel un souffle ou des scansions dans la grande salle.
La Mer de Claude Debussy vient toutefois balayer ces bémols, si le frémissement orchestral n'a pas la précision requise pour rendre l'écume, les immenses vagues sont bien là, balayant l'auditoire comme elles semblent balayer les feuilles de la partition du chef (il les tourne par douzaines de pages, connaissant la musique sur le bout de sa longue baguette).
Les musiciens s'applaudissent entre eux, des pieds et des mains, à l'image de cette Philharmonie de Paris qui fait des pieds et des mains pour que la musique contemporaine le reste.