Grande Messe de Noël par Les Arts Florissants : annulée à Garnier, sauvée par la Philharmonie
Les Arts Florissants sous la direction de Paul Agnew poursuivent en effet la résurrection de leur travail consistant à recomposer une Grande Messe de Vivaldi (qu'il n'a pas léguée comme telle, comme le chef l'expliquait en présentant ce projet ici même en mars dernier) en associant et réimaginant les liens de différentes pièces éparses. Le programme proposé ce soir convoque même un Concerto pour la nuit de Noël composé par Arcangelo Corelli, servant d'axe de symétrie et de socle de virtuosité au milieu de ce grand parcours Vivaldien.
Le programme est composé en une grande arche symétrique. Les parties du concerts s'ouvrent par un plain-chant, tradition monacale a cappella, récitation musicale, prière qui marque un moment ecclésiastique et qui inaugure ici par deux fois cet office musical. Paul Agnew dirige par des gestes très énergiques et amples cette récitation qui est traditionnellement sans chef, mais il initie ainsi les grands mouvements cohérents qui uniront tout le programme, unissant les voix et les instruments (Les Arts Florissants, chœur et orchestre). De la psalmodie à l'ébouriffante virtuosité, des tempi fougueux aux lentes déplorations, musique d'église et de concert, crucifixion, résurrection et saisons sont ici unies par l'interprétation riche et précise. L'énergie et la dévotion du chef et de ses musiciens sont au diapason, elles se mettent au service des mouvements rapides comme de l'intensité des tenues, filées sur l'ampleur du son (la longueur des voix et des archets). Elles soutiennent les unissons des tutti, comme des dialogues lorsque l'orchestre divisé en deux se répond, ainsi que pour les mouvements fugués par petites sections. Tout le programme s'enchaîne ainsi, alternant les caractères vers les glorieux accords des deux "Amen" marquant les points d'orgues des deux parties du grand concert. Le son est nourri par les vents et s'appuie sur l'orgue, comme il se ponctue avec les chanteuses solistes.
La soprano Miriam Allan offre d'emblée la clarté lumineuse de sa voix et surtout de son sourire. Les lignes gagnent en volume tandis que la prosodie reste claire, mais l'ensemble du chant met toutefois du temps à trouver précision et appui. Toutefois, elle se marie ensuite avec l'autre soprano Maud Gnidzaz, voix sereine et posée avec souplesse sur le cœur de la tessiture, la tendresse de l'articulation (mais contenant de fait des accents qui demandent à lancer des thèmes et figures). La troisième soliste, Mélodie Ruvio intervient seule, de l'autre côté de la scène (Cour) et de la voix (ancrée) : avec un médium chaleureux mais souple dans le phrasé (comme c'est le cas pour ses collègues). Le grave un peu en retrait laisse davantage apprécier une tessiture de mezzo que le contralto annoncé dans le programme, mais elle garde toujours l'intensité de ses intentions musicales, même allégées. En somme, même avec ses courtes interventions, elle opère là aussi un liant vocal, comme elle le faisait dans l'autre projet au long court de Paul Agnew et Les Arts Florissants : les Madrigaux de Gesualdo .
Cet esprit d'ensemble construit ainsi sur le long terme et entretenu même durant le confinement est à l'image de ce programme. Les solos, sections et tutti avec toute leur diversité de caractères se joignent ainsi dans l'exécution et dans l'esprit, offrant plusieurs points d'orgue, jusqu'à un dernier, réjouissant : un Laudate Dominum avec des paroles ajoutées par Michel Corrette sur Le Printemps de Vivaldi.
Ce concert retransmis en direct et à la demande en vidéo par la Philharmonie sera également sur les ondes de France Musique le 5 janvier 2021 à 20h et donnera lieu à la parution d'un disque chez harmonia mundi.