Fermeture des salles : quelles perspectives ?
“Nous attendons tous les solutions médicales qui nous permettront de sortir de cette crise”, résume Laurent Campellone, qui dirige l’Opéra de Tours. C’est aussi l’espoir du Directeur de l’Opéra de Paris, Alexander Neef : “J’espère qu’avec l’introduction des vaccins au niveau mondial, nous aurons plus de visibilité sur l’avenir de la pandémie : l’avenir va se solidifier”. Éric Blanc De La Naulte, à la tête de la maison Stéphanoise, est pourtant plus réservé : “Le début d’année ne s’annonce pas très réjouissant car l’hiver est propice au développement des virus. La stratégie mondiale repose sur le vaccin, mais si cela ne fonctionne pas comme espéré pour une raison ou une autre, il n’y a pas d’autre stratégie en vue. Et quoi qu’il arrive, on comprend bien qu’un vaccin ne réglera pas la situation avant le mois de juin”. Ainsi, en attendant, les protocoles éprouvés permettent-ils d’envisager une réouverture sereine : “Nous avons déjà beaucoup expérimenté en septembre avec les jauges limitées, la régulation des circulations du public dans la salle, les mesures barrières pour les artistes sur scène : nous avons déjà établi beaucoup de bonnes pratiques”, note Alexander Neef.
Certains désespèrent pourtant de voir ces bonnes pratiques leur bénéficier : "À quoi bon mettre en place des protocoles stricts si nous sommes fermés malgré tout ? Si on veut confiner, il faut tout fermer : il ne faut pas faire les choses à moitié. Il va falloir se demander ce qu’on fera si la situation perdure : ce sont les effets à moyen et long terme qui sont les plus dangereux”, défend Éric Blanc De La Naulte. Selon lui, l’évolution permanente des mesures sanitaires ne peut en tout cas plus durer : “Nous sommes prêts à entendre que nous devons subir une fermeture longue, à condition que la réouverture se fasse sans condition : ça ne nous fera bien sûr pas plaisir, mais au moins nous pourrons réagir et nous adapter”. Son confrère de Nancy, Matthieu Dussouillez, préfère lui aussi une fermeture longue qu’une incertitude constante : “Je comprends les arguments sanitaires : la priorité doit être sanitaire, surtout en plein hiver. J’aurais préféré qu’on nous dise qu’on était fermés jusqu’en mars, à condition qu’on rouvre alors sans condition. Nous avons montré que nous savions trouver de nouvelles opportunités durant la crise, mais pour cela, nous avons besoin de visibilité. Là, nous ne savons pas dans quelle temporalité nous travaillons. Or, c’est la visibilité qui nous donne la capacité de nous réinventer, avec de l’originalité et du sens. Nous en sommes réduits à attendre tous les 15 jours le discours du Président ou du Premier ministre”.
Le public n’a pas peur ! ”
Quelle que soit la date de réouverture de leurs maisons, les opéras savent en tout cas pouvoir compter sur la fidélité de leur public : “Le spectacle vivant ne me semble pas en danger du point de vue des spectateurs qui ne cessent de manifester l’envie de revenir”, assure Michel Franck, Directeur du Théâtre des Champs-Élysées. “Nous recevons beaucoup de soutien de notre public qui se manifeste à nous, qui continue malgré les risques d’annulation, à acheter des places dès qu’on met un spectacle en vente”, constate Laurent Campellone. Éric Blanc De La Naulte fait le même constat : “Le public ressent un manque : lorsque nous avons ouvert les réservations, nous avons vendu plus de 1000 abonnements. Il y avait une file d’attente ininterrompue : des gens ont attendu 4h30 pour obtenir leur abonnement. Cela prouve bien qu’il y a une attente, un besoin. On parle de plus en plus des dommages moraux causés par la situation : le spectacle vivant fait partie des solutions en permettant à chacun de s’évader”. Patrick Foll, Directeur du Théâtre de Caen, va même plus loin : “C’est très compliqué pour les artistes, le public et les équipes des théâtres de rester mobilisés dans ces conditions, même si je trouve que la volonté de jouer ne faiblit pas et que le public nous témoigne un fort soutien et exprime clairement sa volonté de voir les théâtres ouverts à nouveau ! Je ressens de la part du public une forte confiance envers les protocoles sanitaires que nous avons mis en œuvre dans notre salle ! Le public n’a pas peur !” Le son de cloche ne varie pas, ni chez Philippe Bellot qui dirige l’Opéra de Massy : “Le public nous suit, il accepte les multiples reports, les conditions de distanciation, nous devons leur en être reconnaissants car c'est avec son soutien aussi que nos maisons s'en sortiront” ...ni chez Laurent Brunner, qui constate également une fidélisation de ses mécènes : “Les spectateurs et les mécènes qui sont attachés à notre programmation la soutiennent plus que jamais : c'est un encouragement pour continuer malgré l'adversité”.
Les opéras entendent en tout cas continuer à 'mettre à profit' cette crise pour se réinventer : “Nous allons changer notre politique d’abonnement : les spectateurs pourront acheter la carte Mélomane (50 € ou 80 € pour deux), qui est une marque de soutien au théâtre et qui permettra d’acheter des places, même au dernier moment, avec une réduction de 20%, ce qui évite d’avoir à se projeter sur toute la saison”, détaille Laurent Campellone.
Autre point positif mentionné par Alexander Neef : “L’une des rares choses positives apportées par la pandémie est que les directeurs d’opéras, en France et à l’international, se parlent plus que d’habitude. Nous échangeons sur des stratégies, sur les actions que nous menons au sein de nos établissements, et j’espère que cela perdurera après la pandémie. Il est très important pour tout le monde d’avoir ces échanges entre confrères : je les apprécie beaucoup”.
Alain Mercier, Directeur de l’Opéra de Limoges, appelle quant à lui à se décloisonner, proposant de nombreuses idées pour se réinventer : “Les nouvelles alliances que j'appelle de mes vœux pourraient se traduire par un renforcement de la solidarité avec les habitants de la ville et son agglomération, notamment par notre familistère vocal au service de l'éducatif et du participatif (ouverture au rural, travail avec de jeunes enfants en situation de handicap), par une collaboration avec les chercheurs de la faculté de Médecine (nous finançons actuellement un programme de recherche pour la formation en réalité virtuelle des personnels des EPHAD à la prise en charge des personnes en temps de pandémie avec possibilité de transfert de la technologie vers des projets artistiques), par l’ouverture de nos espaces pour le télétravail des habitants de Limoges, par le développement d'une politique de santé et bien être au travail pour nos équipes, par une participation des publics à la gestation des projets de production voire à certains choix de programmation, par la formation et l’insertion des chanteurs avec une approche du 'chanteur global' (interprète, créateur, transmetteur) ou encore par la structuration de notre politique audiovisuelle (contrat de production audiovisuelle pluri-annuel avec une société de production, paiement des spectacles diffusés, etc.)”.
Martin Kubich, à la tête de l’Opéra de Vichy, se montre optimiste à moyen terme, s’attendant à voir la crise laisser place à une période faste : “L’histoire témoigne qu’après des pandémies, des guerres ou bien des crises financières, la culture, et particulièrement le spectacle vivant, ont toujours su rebondir et trouver une résurgence dans la société. L’humain ne peut se passer de vivant, bien que le virtuel annihile parfois ce besoin du contact et de l’interaction”.
“J’ai relayé un tweet d’Edgar Morin : « L’élimination totale du risque conduit à l’élimination totale de la vie ». Est-il un meilleur résumé de la situation ?”, conclut Frédéric Roels de l’Opéra Grand Avignon.
Retrouvez les 5 Parties de ce Grand Format faisant le point sur la situation et traçant les perspectives sur la base de 16 interviews avec des Directions d'Opéra à travers la France :
Fermeture des salles : Les directeurs d’opéra partagés
Quel impact pour les opéras ?
Quelles perspectives ?
La Culture est-elle essentielle ?
Gestion des flux : qu’en pensent les directeurs d’opéra ?