Concert de Noël à Chœur ouvert dans Radio France fermée
La Culture vivante s'est confinée, de gré ou de force, pour les fêtes de Noël, pour sauver les festivités (y compris des secteurs dits non-essentiels) et les déplacements à travers le pays. La culture vivante est pourtant essentielle et même sacrée, en tous points et tout au long de l'année, y compris en ces réveillons que la musique, bonne joueuse, accompagne encore et même confinée.
Radio France a ainsi maintenu et même sauvé de nombreux concerts chez elle et hors les murs (nous étions ainsi au TCE pour le Concert Beethoven déjà diffusé, ou des événements à retrouver prochainement : la création audio-visuelle sur La Voix Humaine de Barbara Hannigan au 104, la Tétralogie de l'Opéra de Paris, entre autres).
Les traditionnels concerts de Noël et du Nouvel An sont eux aussi sauvés. Avant de réveillonner sur les ondes avec avec Anne Sofie von Otter et peu après le programme féerique par l'Orchestre Philharmonique de Radio France (direction Mikko Franck), nous étions dans la maison ronde fermée pour ce Concert du Chœur de Radio France dirigé par Martina Batič.
Le concert du Chœur de Radio France n'a lui non plus rien renié de sa richesse et de sa qualité avec un programme de grand répertoire (post-)romantique français et baroque allemand. Ainsi, même si les répétitions ont été réduites à une semaine et se sont faites masquées (afin de pouvoir chanter ce concert démasqués car testés et distanciés), l'écart entre les périodes de répétitions et entre les chanteurs ne les empêche pas d'offrir d'emblée la cohésion d'un son homogène et même d'ouvrir la soirée par les harmonies si exigeantes de Poulenc (qui compose l'essentiel du programme avec l'énergie baroque du Messie de Haendel) !Poulenc chanté ici en français comme en latin, sublime les différentes dimensions et émotions de cette période, toujours dans l'esprit de Noël : triste et nostalgique (Un soir de neige composé pendant l'hiver de la seconde guerre mondiale) puis apaisé dans la prière religieuse retrouvée (à l'image du compositeur lui-même, qui perdit et retrouva la foi) avec Quatre motets pour le temps de Noël puis Exultate Deo. Dans chacune des mélodies et prières toutes aussi intenses, les souples phrasés composent de riches accords. L'harmonie est grandement espacée, comme les choristes, emplissant l'auditorium. Le chœur demeure précis et fort lyrique, s'appuyant sur la richesse des contralti et des basses pour déployer l'agilité soutenue des ténors et soprani.
La puissance poétique s'appuie sur la force et la sensibilité de ces voix unies et de ces textes. Mais de fait le reste du programme français paraît moins inspiré : les paroles unidimensionnelles louant la béatitude de Noël sur des formules musicales répétitives, viennent de fait fatiguer les tessitures en convoquant les mêmes exactes zones. Les pupitres de ténor tirant alors leurs aigus, acérés également chez les soprani. Toutefois le ténor Seong Young Moon soliste sur "O mon âme" (L’arrivée à Saïs, extrait de L'Enfance du Christ de Berlioz) déploie une noble articulation cérémonielle. L'intervention est d'abord serrée mais un grand crescendo-decrescendo accroît l'appui et la délicatesse du vibrato appuyé et ample.
L'accompagnement à l'orgue par Nicolas Bucher (Directeur du Centre de Musique Baroque de Versailles) couvrant même le piano, ramène à Poulenc et mène avec une énergie bienvenue de son Alléluia vers celui fameux du Messie de Haendel. Un enthousiasme qui porte et que porte la cheffe de chœur Martina Batič. Jusqu'ici corsetée par un grand sérieux allant même jusqu'à la rigueur de diriger très doctement la pianiste pour donner les notes de départ, la cheffe montre en fait la magie de Noël à l'œuvre, conservant sa précision chirurgicale professionnelle mais l'emballant (comme les cadeaux) avec un enthousiasme croissant jusqu'à envoyer des baisers -mimés bien entendu- et à faire saluer devant cette salle vide. Des saluts et des applaudissements enthousiastes émanant des artistes eux-mêmes car principalement destinés à l'un des leurs, dont il s'agit du dernier concert : le chanteur basse Philippe Eyquem qui reçoit avec émotion ses cadeaux de retraite et l'ovation méritée de ses camarades. Placé tout à la droite de la cheffe, il aura encore été ce soir le piller fondateur de l'harmonie. Et pour lui souhaiter un bon vent (d'hiver), des choristes arborant lunettes fantaisies et bonnets de Noël chantent "Douce Nuit".