Akhnaten, Roi soleil de l’Opéra de Nice
Nommé fin 2019 pour un début de mandat en janvier 2020, Bertrand Rossi, nouveau Directeur de l’Opéra de Nice, n’en a pas moins conçu une saison ambitieuse, initiée avec Akhnaten (le pharaon Akhenaton), dernier volet d’un triptyque composé par Philip Glass sur les hommes qui ont changé le monde. De fait, ce projet était l’une des productions les plus attendues de cette première partie de saison. Malmené par le confinement, annoncé quelques jours seulement avant la première, il aura été sauvé de l’annulation par une captation proposée en différé sur les canaux de diffusion de l’institution.
Déjà, la crise sanitaire avait compliqué la tâche de la metteuse en scène et chorégraphe Lucinda Childs (qui connaît bien l’œuvre de Philip Glass et dansait même lors de la création d’Einstein on the Beach), obligée de diriger les opérations en visioconférence. En résulte logiquement une direction d’acteurs a minima et une chorégraphie principalement construite autour d’un enchaînement de postures. La scénographie (Bruno de Lavenère) repose sur les symboliques égyptiennes. Celle du cercle d’abord, représentant à la fois le mouvement des astres, le soleil auquel Akhnaten voue un culte unique, mais aussi l’anneau de Shen représentant la protection divine (voire même la musique circulaire de Glass). Dans le premier tableau, une balance descend des cintres pour peser l’âme du défunt Amenhotep III (le père d’Akhnaten), symbolisée par son cœur : sa conscience étant aussi légère que la plume de Maât (déesse de l’équilibre du monde), il peut accéder à l’au-delà éternel en voyageant sur la barque de Râ. Plus tard, Akhnaten apparaît sur un disque doré et désaxé par rapport à la scène, tel un Roi Soleil, son peuple l’acclamant dans l’ombre, en contrebas. Présente via les projections magistrales de fond de scène, Lucinda Childs tient les deux rôles parlés (Amenhotep et le Scribe), scandant le texte comme la musique, de manière répétitive sans se répéter, d’une voix posée et douce.
L’œuvre est fascinante, entêtante, étonnante. La musique, loin d’être minimaliste malgré sa structure répétitive, semble toujours similaire, mais est sans cesse renouvelée. Le chef Léo Warynski la dirige avec précision, d’un geste calme, sans baguette, ménageant des transitions précises entre les différents motifs musicaux ou entre les rythmes binaires et ternaires, renouvelant chaque fois les dynamiques. Il joue des silences qui restent ici musique, les notes continuant à tourbillonner dans l’esprit grisé de l’auditeur. L’orchestre, toujours concentré, maintient la précision rythmique et la vitalité musicale tout du long, même si les staccati pourraient être accentués pour affirmer davantage les courbures musicales. Le chœur, parfois masqué, reste homogène malgré la complexité rythmique.
Dans le rôle-titre, le contre-ténor Fabrice di Falco campe un Pharaon souriant, figure christique expliquant la création par le dieu Rê. Cependant, ce sourire ne le quitte pas, y compris lorsqu’il s’agit de constater la ruine de son règne. Il alterne la candide douceur de la jeunesse, à la dureté forcée du souverain. Sa voix charnue au vibrato court et rapide est bien projetée. Son articulation de l’anglais est appliquée dans l’hymne au soleil. Patrizia Ciofi trouve en Reine Tye un rôle correspondant bien à sa vocalité et sa musicalité. Elle fait montre de son endurance, y compris dans des aigus appuyés sur un vibrato rond. Julie Robard-Gendre prête sa voix grave et chaude à l’ardente intensité à Nefertiti, épouse dont le timbre profond s’enlace dans les aigus du contre-ténor et évoque l’envoûtante beauté d’une Dalila ou d’une Carmen. Ses contractions abdominales projettent les sons avec force mais douceur face à ses six filles. Ces dernières, Karine Ohanyan, Rachel Duckett, Mathilde Lemaire, Vassiliki Koltouki, Annabella Ellis et Aviva Manenti pour la plupart issues du CALM (Centre Art Lyrique de la Méditerranée) restent en effet douces dans leurs vocalises, leurs voix s’accordant à merveille.
Frédéric Diquero est inquiétant d’aspect en Grand-Prêtre d’Amon, cérémonieux avec son ténor massif et central, comme doit l’être le représentant du maître des dieux égyptiens, étendant ses lignes longues avec persévérance. Vincent Le Texier en Conseiller Aye étend sa voix grave et solennelle, se déployant largement, martelante. À leur côté, Joan Martín-Royo en Général Horemheb se montre puissant et énergique, notamment dans la scène du couronnement.
Si la captation ne permet pas de distinguer tous les détails de l’interprétation, elle aura au moins permis de sauver cette production ambitieuse, en espérant qu’elle puisse être présentée au public ultérieurement.