Un peu moins que non-essentiels, les lieux culturels restent confinés jusqu’au 15 décembre
Le 28 octobre dernier, le Président de la République annonçait un re-confinement consistant en la fermeture des commerces non essentiels, entraînant depuis lors des questionnements et décisions aussi surréalistes que celles de condamner les rayons livres dans les supermarchés plutôt que de laisser les librairies rouvrir, ou de laisser ces dernières ouvrir pour vendre des journaux en leur interdisant la vente de livres. Seul fil conducteur et point commun dans ce triste feuilleton : les entreprises et les écoles, lieux fortement générateurs de clusters, restaient ouvertes au contraire des lieux de culture vivante qui ne déplorent aucun cluster à ce jour et appliquent mieux qu’ailleurs les protocoles sanitaires. Cette "logique" est donc reconduite..
Les autorités s’étaient engagées à réexaminer la situation des “commerces non essentiels” toutes les deux semaines. Après avoir chargé son Premier Ministre de délivrer les mauvaises nouvelles suite à la première quinzaine de re-confinement, Emmanuel Macron reprend donc la parole en ce soir du 24 novembre pour autoriser la réouverture de tous les commerces jusqu'à 21h au plus tard, ce qui entraînera donc comme pour le précédent couvre-feu, des agglutinements de clients pressés d'effectuer leurs achats après le travail et de rentrer chez eux (mais aussi les habituelles cohues que ne manqueront pas de provoquer les soldes du Black Friday). Ces commerces doivent mettre en place un "protocole sanitaire strict", qui n'est pas précisé à ce stade, alors que les lieux de culture qui resteront fermés encore au moins trois semaines ont déjà éprouvé tous leurs protocoles et en ont démontré l’efficacité (Emmanuel Macron indiquait d'ailleurs lors de sa précédente allocution que ces lieux étaient aujourd'hui très sûrs grâce à ces protocoles). De fait, les théâtres et salles de concerts restent enfermés dans le schéma vicieux qui les voient respecter mieux que quiconque les protocoles sanitaires mais demeurer les premiers fermés et les derniers rouverts, chaque fois que les autres secteurs, moins strictes, laissent la situation empirer.
Les théâtres et salles de spectacles ont en effet constamment tout fait pour s'adapter à chacun des changements de consignes au fil des confinements, re-confinement, couvre-feu, limitations de jauges, distanciations. Ils y sont parvenus, installant tous les équipements sanitaires, refaisant tous les plans de salles, avançant des spectacles en plein après-midi, les décalant au week-end, réduisant la durée des programmes, etc. Les salles de spectacle ont déjà reconfiguré tous leurs lieux et accès (files d'attentes, sens de circulation, horaires d'arrivée et départs espacés), la protection des spectateurs, des artistes, des personnels. Les résultats étaient au rendez-vous : mieux que partout ailleurs (nous en avons rendu compte dans tous nos comptes-rendus), les consignes étaient strictement respectées avec gel, masques, distances. Tout est déjà prêt depuis longtemps dans la culture vivante (même la possibilité de remonter précisément tous les contacts en salles). Mais cette fois encore, les bons élèves sanitaires ne seront pas récompensés.
Le monde du spectacle, les médias (et les articles sur nos colonnes) s’étaient pourtant mobilisés afin de rappeler clairement combien la vie culturelle est un besoin essentiel, même pour qui ne prendrait la question que sous l’aspect purement économique : la culture est un secteur majeur, créateur d’emploi et vecteur de dynamisme pour de nombreux autres marchés. Hélas, elle fait son travail sur le long terme, dans la régularité, à travers le territoire. Elle n'a pas de black friday à troquer, à décaler d'une semaine en échange d'une réouverture, et dans le jeu de dupes qu'est le "bras de fer" entre économie et santé, la Ministre de la Culture n'a pas voix au chapitre. N’ayant pas de black friday (vendredi noir), la culture vivante subira encore un trimestre gris dans une année noire que l'année blanche des intermittents ne compensera pas.
Seul point positif, Emmanuel Marcon ayant visiblement lui aussi entendu le silence assourdissant des dernières communications officielles (notamment la conférence de presse de son Premier Ministre où ni le mot "culture" ni le concept culturel lui-même n'ont été abordés), il a ainsi veillé à apporter des paroles de considération pour le monde culturel (eux "qui ont tenu, créé, innové"), pour la culture ("essentielle à notre vie de citoyens libres") et a donné une perspective : celle de la réouverture au 15 décembre, date prévue de levée du confinement. Si le couvre-feu à 21h sera de nouveau en vigueur, les salles de spectacle bénéficieront cette fois d'une exception grâce à un système "d'horodatage" (preuve qu'un tel système, réclamé lors du premier couvre-feu et déclaré impossible, aurait bien alors pu être mis en œuvre pour sauver de nombreuses productions).
Cela ne sera toutefois pas suffisant. La possibilité laissée de "passer Noël en famille", y compris en région (les sites de réservations de transports étaient pris d'assaut ce mardi soir) prépare une reprise épidémique en janvier si les vaccins ne sont pas rapidement disponibles, efficaces et largement administrés. Nul doute que les théâtres et opéras seront alors de nouveau sacrifiés. La stratégie court-termiste édictée par le Conseil scientifique est celle d’un Stop & Go consistant à enchaîner les périodes de confinement, déconfinement, re-confinement et re-déconfinement jusqu’à la disparition du virus, frappant la population (et nos soignants) par autant de vagues d’infections. Dans un tel cas, impossible de programmer une politique artistique cohérente dans un lieu de culture, sachant que le couperet peut retomber à tout moment, y compris au beau milieu d’une série de représentations ou de répétitions. La culture risque de continuer à attendre anxieusement les allocutions présidentielles pour savoir quels projets seront anéantis après d’innombrables efforts.
Ce prolongement de la fermeture des opéras provoquera ainsi l’annulation
de nombreux projets (ou d’une partie de leurs représentations). Pourraient notamment être concernés :
- La Belle et la Bête de Glass à l’Athénée
- Mithridate à la Philharmonie
- Monsieur Choufleuri restera chez lui à Saint-Etienne
- Le récital de Jonas Kaufmann et L’Olimpiade au Théâtre des Champs-Elysées
- L’Orfeo à Versailles
- Hänsel et Gretel à Strasbourg
- La Dame blanche à Rennes
- Acanthe et Céphise à Tourcoing
- Le Palais enchanté à Dijon
- Béatrice et Bénédict à Lyon
- Les aventures du Baron de Münchhausen à Massy
- Fantasio à l’Opéra Comique
Sans doute les opéras, une fois de plus, parviendront-ils, chaque fois que cela sera possible, à réadapter leur programmation pour sauver nombre de ces projets, comme ils le font inlassablement depuis le mois de mars. Il n’empêche, le chemin paraît long avant que le spectacle vivant ne puisse revenir à l’essentiel : enchanter, interroger, créer, dans un frisson partagé.