La Clémence sans Titus mais avec ferveur même confinée à l'Opéra de Rouen
Ce concert marque les débuts officiels de Ben Glassberg comme nouveau Directeur musical de l'opéra. S’il arrive malheureusement à un bien mauvais moment, il n’en installe pas moins de belles sonorités à l'orchestre, avec panache dès l'ouverture et au travers des passages sans voix. Les soli instrumentaux montrent leur qualité entretenue même en confinement, particulièrement la clarinette basse au phrasé élégant et au son très homogène qui accompagne "Non piu di Fiori". Le geste ample de Ben Glassberg et surtout le contact qu'il maintient avec les chanteurs reste toujours attentif aux fragilités qu'ils peuvent avoir (de souffle ou de puissance), toujours chantant avec eux et leur redonnant de l'énergie. Le résultat est théâtral sans jamais forcer le trait, la musique semble couler de source notamment dans les ensembles.
Le concert concentre et résume l’opéra en une heure, proposant un parcours de l'œuvre à travers quelques morceaux connus et certains ensembles qui viennent animer la scène. Difficile de concentrer ainsi l’intrigue, d’autant que manquent les chœurs et surtout Tito que devait chanter Nicky Spence mais qui n'a malheureusement pas pu être présent pour le concert.
C'est la mezzo Anna Stéphany qui semble ce soir la plus à l'aise. Il faut dire qu'elle a déjà beaucoup chanté Sesto et cette expérience lui permet de faire vivre ses deux grands airs. La voix telle que retransmise paraît brillante, elle est en tout cas ductile et coule généreusement sur les longues phrases qu'a composées Mozart, sans être embarrassée par les vocalises ou la tessiture. L’auditeur entend par moments un peu d'air sur le medium mais c'est avec le souffle qu'elle se lance dans une reprise piano de son air “Deh per questo istante solo”. Sa grande silhouette, son regard un peu triste et son attention aux mots composent un personnage mélancolique et touchant.
Simona Šaturová est une Vitellia attachante et ses fragilités participent à donner de la vie à son personnage. La voix est ronde et belle avec des voyelles très fermées, le souffle semble toutefois manquer un peu de générosité par moments, surtout en comparaison de son Sesto. L'aigu n'est pas exempt de certaines duretés mais il est bien présent et en imposerait sans doute en salle. Le haut medium brille d'une qualité liquide agréable. Néanmoins le grave est très difficilement audible, même capté en vidéo, ce qui efface certaines phrases de son grand air. Mais le personnage est là, fragile, servi par la grande musicalité de l'artiste ainsi que sa présence sobre et émouvante.
Les trois autres chanteurs ont moins d'occasions de se faire entendre, même s’ils sont investis dans les quelques ensembles qui rythment le concert. Aucun ne démérite, à commencer par la Servilia de Chiara Skerath dont la voix épouse agréablement les lignes de la musique, le son est rond, le corps et la mâchoire un peu tendus mais la brièveté de l'intervention rend sans doute l'exercice difficile. Antoinette Dennefeld est très élégante et son Annio ne manque pas de charisme. La voix est forte mais sans doute un peu trop large ce qui la rend instable. David Steffens quant à lui possède un timbre rond et chaud, faisant entendre une nette musicalité dans ses quelques phrases en Publio, ce qu'il pourrait cultiver avec plus de franchise sonore pour que son autorité ne se passe pas en force.
Un concert émouvant et intense toujours disponible pour (re)découvrir l'œuvre, malgré l'absence de Tito, notamment à travers les très intéressantes vidéos pédagogiques qui l'accompagnent :