Dienstag aus Licht : Le Balcon poursuit son cycle Stockhausen à la Philharmonie
Ce Mardi de lumière, interprété un samedi, est le jour de Mars, dieu de la guerre. Après un premier opus dédié à Michael (Donnerstag) et un second construit autour du personnage de Lucifer (Samstag), c’est de fait leur confrontation qui est l’enjeu de ce Dienstag. Le spectacle débute par un rituel qui, une fois n’est pas coutume, n’a pas été imaginé par Karlheinz Stockhausen : celui des contraintes sanitaires auxquelles sont maintenant habitués les spectateurs (qui les respectent d’ailleurs scrupuleusement), et qui n’en sont pas moins une métaphore des ténèbres actuelles, qui appellent la lumière, encore invisible au bout de ce tunnel culturel.
La première partie, le Salut du mardi, est d’ailleurs un combat pour la liberté : en Dieu pour les partisans de Michael, sans Dieu pour ceux de Lucifer, et sans Covid pour le public. Deux ensembles de cuivres (issus de l’Ensemble Le Balcon et du CNSM de Paris) se font face sur scène, l’un baigné d’une lumière bleue, l’autre d’une lumière rouge. Un chœur (Jeune Chœur de Paris) de voix aiguës (du côté de Michael) et un autre de voix graves (pour Lucifer), complètent le dispositif d’une deuxième vague musicale depuis les balcons. Dans l’obscurité s’avancent alors Maxime Pascal et Richard Wilberforce, chacun dirigeant l’une des deux troupes. Les deux chefs, intégrés au spectacle, luttent, dansent et grimacent, semblant s’envoyer des sortilèges de leurs mains griffues. L’Ève d’Élise Chauvin tente de les concilier, mais demeure impuissante, enfermée dans son cercle de lumière verte (pomme), malgré sa belle voix concentrée, vivante et vibrante. Les interventions de Lucifer sont interprétées par Damien Pass (comme depuis le début du cycle) de sa voix posée et sombre, percutante. Celles de Michael sont confiées à Hubert Mayer dont le ténor clair et solennel (mais parfois instable) claque ses consonnes et susurre ses chuintements.
Vient alors La Course des années qui compose la deuxième partie. Les années, les décennies, les siècles et les millénaires y concourent dans une course folle, chacun représenté par un groupe de musiciens et un danseur enfermé dans le tracé d’un chiffre (formé par leurs foulées, leurs pieds étant peinturlurés de rouge, les quatre chiffres dessinant 2020) et un rythme. L’ensemble est arbitré par le volubile Thibaut Thezan dont le phrasé s’approche de celui d’un sifflet à coulisse. Le temps est arrêté par des tentations envoyées par Lucifer : des fleurs, des plats exquis, le divertissement d’un singe sur trottinette, une femme nue. Mais Michael intervient à chaque fois pour que le temps reprenne sa course.
Le temps semble toutefois s’arrêter dans la troisième partie, l’Invasion. Le combat se fait cette fois plus concret : par des projections courant sur les murs et les plafonds de la salle, une bataille aérienne fait rage. Comme une victime collatérale de cette guerre (et comme la culture est victime collatérale de la lutte contre le virus), l'archange Michael choit. Sa représentation musicale, la trompète d’Henri Deléger (lui aussi présent depuis le début du cycle), dialogue alors avec Ève, cette fois incarnée par Léa Trommenschlager, dans un duo intitulé Piétà. La soprano, qui manque d’ampleur malgré la sonorisation, dévoile une voix tantôt tendre et veloutée mais parfois tendue et percussive. L’ésotérisme Stockhausiste atteint alors son paroxysme : après que des êtres de verre aient trié des engins militaires placés sur un tapis roulant dans un au-delà fantasmé, une exubérante allégorie de la musique (appelé Synthé-fou) portant des oreilles d’éléphant vertes, d’énormes lunettes de soleil et un long nez, exerce son pouvoir de fascination (même si la musique est synthétique) et adoucit les cœurs des belligérants, dans des ténèbres de plus en plus profondes.
En tant que chanteur, Damien Bigourdan, ici crédité de la direction scénique, brille par son sens du rythme et du théâtre. Ces qualités sont clairement mises en valeur dans son travail de metteur en scène, à la fois fidèle à l’œuvre de Stockhausen et expressif : il est d’ailleurs très applaudi à l’issue du spectacle, tout comme l’ensemble des protagonistes de ce spectacle.