Iphigénie en Tauride de Gluck sous les doigts de Diego Fasolis à Angers Nantes Opéra
Cette représentation du dimanche après-midi d’Iphigénie en Tauride se trouve retransmise en direct sur les sites web des deux partenaires, mais aussi sur l’ensemble des télévisions régionales à l'occasion de Tous à l'Opéra et du World Opera Day. Alain Surrans, Directeur d’Angers Nantes Opéra, vient féliciter le public bien présent dans la salle pour la représentation, mais aussi les téléspectateurs attirés par l’évènement. Déjà, un web-documentaire en 15 épisodes de 5 mm chacun, intitulé Iphigénie à l’Opéra : on vous dit tout, avait permis aux futurs spectateurs de se familiariser avec l’ouvrage et de suivre la montée en charge progressive du projet.
Alain Surrans est accompagné de Nicolas Dufetel, nouvel adjoint au maire d’Angers chargé de la Culture et du Patrimoine, par ailleurs musicologue averti, spécialiste de Liszt et chargé de recherche au CNRS. Avec la présence de Thomas Jolly comme Directeur du Centre Dramatique National Le Quai depuis janvier dernier, il apparaît nettement que la ville d’Angers possède de nombreux atouts pour conduire une politique artistique dynamique. Il est à noter que le Grand-Théâtre d’Angers fêtera en 2021 les 150 ans de son existence.
Avant de rejoindre l’Opéra de Saint-Étienne pour y présenter dans quelques jours La Nonne Sanglante de Charles Gounod (notre reportage), Julien Ostini s’empare avec vigueur d’Iphigénie en Tauride dont il signe la mise en scène, la scénographie et les costumes. Il a imaginé un décor unique, un temple des origines où la flamme brille en permanence. Sur un sol terreux encore souillé du sang des multiples sacrifices humains ordonnés par le tyran Thoas, un grand monolithe domine le centre de la scène, accompagné de trois autres moins imposants. Ces derniers d’un noir intense à la façon de Pierre Soulages, s’écrouleront au fur et à mesure de l’avancée des scènes. Un disque immense, celui de Diane, recouvert de mystérieux symboles, se déplace régulièrement pour délimiter l’action, le tout sous les éclairages vifs et accentués, spécifiquement créés par Simon Trottet.
Au-delà de cette approche esthétique forte, Julien Ostini donne corps aux personnages, les principaux comme les plus secondaires. Ainsi, le groupe des prêtresses, tout de blanc vêtu, s’avance-t-il masqué jusqu’à sa rébellion à la fin de l’opéra à la mort de Thoas. Ce dernier est habillé, comme ses farouches guerriers, de façon fastueuse et bigarrée, à la mesure des richesses accumulées au sein de la province qu’il gouverne, la lointaine Tauride, l’actuelle Crimée. L’accent est mis sur l’amitié indéfectible et la fraternité qui unit Oreste -assailli en permanence par trois danseuses changées en Furies-, et Pylade. Leurs duos sont empreints d’une sincérité bouleversante que la complicité artistique des deux interprètes accentue.
Le baryton franco-britannique Charles Rice rend pleinement justice aux tourments d’Oreste, notamment à l’acte IV qui le montre presque à nu, vulnérable et prêt au sacrifice. La voix se déploie sans effort, grave dans ses intentions, avec de beaux aigus et une sensibilité affirmée. Le timbre un peu monocorde du ténor Sébastien Droy (Pylade) ne retire rien à la justesse expressive de sa voix et à son style musical, mais aussi à l’imprégnation dont il fait constamment preuve. Son interprétation de l’air si admirable à l’acte II, Unis dès la plus tendre enfance, donne toutes couleurs et textures.
Jean-Luc Ballestra, manifestement en méforme, se heurte quelque peu aux imprécations de l’affreux Thoas. Élodie Hache pour sa part se fait pleinement entendre dans l’intervention bienveillante de la déesse Diane à la fin de l’ouvrage : voix large et très caractérisée (elle chantera le rôle-titre d’Iphigénie en l’alternance avec Marie-Adeline Henry à Nantes en décembre prochain).
Marie-Adeline Henry possède toute la majesté, l’intensité dramatique que le rôle si difficile d’Iphigénie exige. Le ton est globalement juste, la caractérisation habile et sensible. Mais la voix manque d’une certaine homogénéité, avec une alternance d’élans passionnés et de moments moins habités qui retombent trop. L’aigu surtout crispe trop souvent l’auditeur par sa dureté. Il est parfois malheureusement émis à la limite du cri.
Les autres interventions sont confiées avec soin à des artistes du Chœur d’Angers Nantes Opéra. Placé à la tête de l’Orchestre National des Pays de la Loire, Diego Fasolis donne sa pleine mesure à la musique de Gluck, dans toute sa détermination, son expressivité la plus intime. Pourtant plus habitué aux formations baroques, il impulse à l’Orchestre et au Chœur une vérité esthétique réjouissante, chatoyante et moderne. Et comme à son habitude, il brandit à l’issue du spectacle la partition d’Iphigénie en Tauride pour bien affirmer que Gluck est toujours vainqueur !