Pénélope, radieuse souveraine du Palais d’Ithaque et du Capitole de Toulouse
Bien avant que l’épidémie de Covid 19 ne se manifeste et ne vienne perturber durablement nos vies et nos envies, Christophe Ghristi, Directeur du Capitole, avait choisi de présenter la version originale pour piano seul de l’ouvrage. Comme précisé par ses soins en début de spectacle -en sus des rappels désormais en vigueur sur les précautions sanitaires à observer-, il souhaite offrir au public une approche plus intime du drame lyrique de Fauré, un peu comme cela se produisait si régulièrement dans les salons artistiques parisiens du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, que fréquentait le compositeur.
Grand bien lui a pris, car pour concrétiser ce projet particulier auquel il tenait tout particulièrement, il en a très heureusement confié la direction musicale et le piano à Anne Le Bozec, merveilleuse interprète de la musique française et fauréenne accomplie. Sous les doigts de celle-ci, la musique de Fauré, malgré l’absence de l’orchestre, rayonne de toute sa plénitude, de ses multiples couleurs et de ses richesses harmoniques durant les trois actes. Dès les premières notes du vaste prélude, le ton juste s’installe et la délicatesse presque diaphane qu’elle insuffle aux deux thèmes tristes et douloureux qui évoquent les époux séparés étreint durablement. Ces qualités d’évidence, de clarté et de simplicité, mais aussi d’éloquence, se perpétuent jusqu’au magnifique et brillant final qui glorifie les retrouvailles des deux époux sous l’égide de Zeus.
La qualité et la profondeur du travail effectué par Anne Le Bozec se vérifie pleinement au niveau de l’ensemble des solistes vocaux qu’elle avait la charge de préparer et de diriger. La Pénélope de Catherine Hunold frise l’idéal. Elle confère au personnage une humanité bouleversante, un sens inné du beau et un rejet total de ce déshonneur que les prétendants cherchent à lui imposer de gré ou de force. Avec une émission haute et claire, une ligne vocale puissamment lyrique et sans aucune pesanteur, un aigu sans défaillance, Catherine Hunold anime son chant avec toute la vigueur et la noblesse qui sied à la puissante Reine d’Ithaque, épouse d’Ulysse. Ses longues interventions du premier acte sont soutenues de façon privilégiée par Anne Le Bozec, tant et si bien qu’il paraît presque impossible de les dissocier dans la perfection sonore délivrée.
À ses côtés, le ténor Airam Hernandez, déjà présent en Pollione de Norma sur cette même scène , conforte toutes les promesses alors décelées. Malgré un accent français qui reste à peaufiner, il allie vaillance -celle d’Ulysse le Roi guerrier soumis à de longues et multiples mésaventures sur la route de son retour à Ithaque- et sensibilité -celle marquée par la fausse désespérance et le désir de la vengeance d’Ulysse revenant en son palais envahi par les prétendants, sous les habits loqueteux d’un mendiant vieux et éploré. La ligne de chant s’épanouit avec une agréable délicatesse, soignée et structurée.
Le mezzo long et profond, au timbre très significatif, d’Anaïk Morel trouve à exprimer son meilleur dans le rôle presque trop bref de la nourrice Euryclée. La basse Frédéric Caton porte une juste émotion dans le rôle du berger resté fidèle à son maître, Eumée. Ses deux interventions au début de l’acte II sont interprétées avec toute la souffrance requise, mais aussi l’espérance du retour. Et quel plaisir pour les auditeurs que de retrouver enfin en scène pour incarner les pourtant forts antipathiques cinq Prétendants, des voix masculines du ténor Mathias Vidal, qui se dévoile au sommet de sa forme et de son lyrisme dans le superbe récitatif qu’Antinoüs adresse au troisième acte à Pénélope, Marc Mauillon (Ctésippe) à la diction si remarquable et éminent interprète de Fauré, Enguerrand de Hys (Léodès) ténor clair et précieux, Thomas Dolié impeccable et presque tonitruant en Eurymaque et Pierre-Yves Binard (Pisandre), baryton solide et fort musical.
Les servantes de Pénélope n’interviennent malheureusement qu’au premier acte, mais comme pour les hommes, le Théâtre du Capitole a fait appel à de jeunes cantatrices toutes excellentes : Andreea Soare (Alcandre/Eurynome), Céline Laborie (Phylo), Sonia Menen (Lydie), Olivia Doray (Mélantho) et Victoire Bunel (Cléone). Dans l’homogénéité de leur ensemble se conjuguent toutes leurs particularités. Le Chœur du Capitole ayant été touché par le Covid, ce sont les solistes qui en 48 heures ont appris ses interventions, heureusement assez limitées, permettant ainsi de profiter de la totalité de la partition. Cette magnifique représentation de Pénélope de Fauré, ouvrage qui n’était plus représenté à Toulouse depuis plusieurs décennies, soulève véritablement l’enthousiasme d’un public toulousain particulièrement attentif et visiblement ému.