Andreas Scholl, lumière crépusculaire en la Sainte-Chapelle
Le Festival de Paris a bien lieu en 2020 et les spectateurs se pressent, bruissant d'impatience (sous leurs masques bien sûr) et se frottant d'avance les mains (de gel et de joie) d'entendre le contre-ténor renommé dans la sublime Sainte-Chapelle. L'ouverture de cette édition au début du mois était déjà dans un lieu exceptionnel (le Salon de la Tour Eiffel pour un récital de Benjamin Bernheim avec Carrie-Ann Matheson), ce concert était déjà marqué par les mesures sanitaires, mais pas encore par le couvre-feu qui vient ce soir avancer l'horaire du concert et en concentrer le programme en une heure. Le soleil se couche sur les fascinants vitraux de la Sainte-Chapelle, leur bleu devient crépusculaire comme la période, mais ne demandent qu'à se raviver : d'autant que l'autel et le clavecin brillent d'or. Le programme concentré et l'interprétation des artistes traduisent pleinement cette ambiance où la musique vient passer un moment fébrile (Music for a while de Purcell), cherche à retrouver la blanche lumière du lys (Have you seen the bright lily grow? de Robert Johnson), vers les douleurs du Cessate, omai cessate (Cessez, désormais cessez de Vivaldi) d'autant qu'Andreas Scholl ouvre le tour de chant a cappella par la funeste ballade anonyme "The Death of Queen Jane".
L'ambiance et la cohérence du concert sont parachevées par le fait que les interprètes enchaînent les morceaux sans interruption et dans la Sainte-Chapelle plongée dans l'obscurité, hormis pour les artistes et hormis pour une ouvreuse sur le côté, qui passe tout le concert sur son téléphone et profite de la pénombre pour enlever son masque (elle est heureusement un peu à l'écart de tous les autres spectateurs, qui respectent scrupuleusement les consignes).
La claveciniste et le contre-ténor traduisent toutes les riches intentions de ce programme fascinant, plongeant dans l'obscurité mais apportant aussi les couleurs lumineuses de l'espoir, humain et divin. Tamar Halperin est soliste-accompagnatrice, interprétant des pièces sans voix (et laissant sans voix) avec une virtuose sûreté qu'elle met au service du contre-ténor dans les morceaux chantés. Son jeu très riche compose une grande notion du phrasé par une grande maîtrise du pointé, jusqu'aux répétitions obstinées. Les marches sont aussi funèbres que les clairs accords sont rédempteurs, filant la métaphore d'une lumière au bout du tunnel. Cette métaphore qui résonne et rayonne avec les vitraux est illustrée par le chanteur, dans sa voix mais déjà dans l'affiche même du concert :
Andreas Scholl fait ainsi passer des rayons lumineux dans un chant souvent obscur. En effet, la voix se projette en élans successifs, suivant certes littéralement le texte, mais rendant confus le discours global, d'autant que ces élans mènent très souvent loin de la justesse et de l'assise sonore (les paroles en allemand et an anglais sont de fait difficilement intelligibles). L'enchaînement de ces élans dans un programme dense, concentré même sur une heure, atteint très vite l'endurance du chanteur : les tenues bougent et sont écourtées, les phrases généralement moins nourries. Toutefois, chaque intention de chaque parole est clairement comprise, travaillée et rendue, dans l'intention mais aussi à la mesure de ce lieu : à la mesure de son acoustique précise (très peu résonnante mais appuyant assez les projections sculptées du contre-ténor), à la lumière de ces éclats crépusculaires.
Les sonores applaudissements du public se prolongent dans le claquement des chaises qui sont bientôt rangées : chacun doit rentrer dans trop tarder et pour ce faire rejoindre les transports bondés de la troisième heure de pointe, créée pour nous protéger du virus.