Hommage à Gérard Grisey : Passages à la Cité de la Musique
Vortex temporum et Quatre chants pour franchir le seuil sont deux pièces exigeantes que l’Ensemble intercontemporain et son chef, Matthias Pintscher, connaissent bien. Avant ces deux œuvres, une pièce plus ancienne et moins connue du même compositeur, Stèle, comme une longue et intense vibration partagée par deux percussionnistes brillants et engagés, Gilles Durot et Samuel Favre, impose son pouvoir magnétique aux auditeurs, belle introduction à l’écoute de la suite.
Vortex temporum est une œuvre virtuose, tant en ce qui concerne les six interprètes que le compositeur lui-même. Elle se reconnaît dès la première attaque par une citation d’un motif de Ravel qui tournoie sur lui-même et qui va être décliné durant les trois mouvements de l’œuvre, sans être reconnaissable puisqu’elle subit toutes sortes de modifications, les plus impressionnantes étant celles qui ont trait au temps. L'Ensemble intercontemporain anime les premier et troisième mouvements plutôt rapides avec de nombreuses péripéties, et s'enfoncent dans la lente matière sonore complexe du deuxième mouvement. La genèse de cette pièce est marquée par les déterminations de type scientifique ou technique (venues du domaine de la musique spectrale et de ses fondements dans l’acoustique) mais c’est avant tout la musicalité avec laquelle les évènements s’animent, s’enchaînent, s’entrechoquent, se superposent, s’effacent et reviennent qui impressionne ici, rappelant que Grisey n’avait pas abandonné la quête de l’expression sensuelle dans la question existentielle de l’obsession du temps.
C’est toujours le rapport au temps qui a motivé la dernière œuvre de Gérard Grisey, Quatre chants pour franchir le seuil, mais cette fois clairement relié à la thématique de la mort (mort de l’ange, mort de la civilisation, mort de la voix, mort de l’humanité) à travers quatre textes de cultures différentes. Gérard Grisey a peu écrit pour la voix car les catégories vocales s’accordaient mal aux préceptes spectraux (travail sur les timbres instrumentaux), du moins au départ. Cependant ici, une relation particulièrement intime se tisse entre la voix et l’écriture instrumentale qui forme parfois comme un écrin, parfois comme un écho, parfois comme un tapis quand elle ne devient pas une vague déferlante. La partie vocale est particulièrement bien servie par Sophia Burgos, soprano aguerrie qui a chanté dans de nombreux opéras et qui fait preuve d’un engagement pour la musique contemporaine. Sa voix, belle et puissante, réussit à épouser toutes les nuances qu’imposent les quatre chants (presque cinq avec la berceuse finale) très différents : scansion poétique, récitatif, débordement virtuose et violent, douceur de la voix fondue dans le son orchestral. Toute la palette nécessaire est là, malgré la difficulté de la partition (notamment l’utilisation de micro-intervalles), avec la volonté de protéger la compréhension du texte. Grâce à cette voix si présente et émouvante, l’humanité vibrante de cette ultime pièce de Gérard Grisey se manifeste dans une spontanéité seconde, en quelque sorte au carré.