Hardelot les pieds dans l’eau : récital Hamlet Français à Musica Nigella
Être ou ne pas être… Telle fut la question pour ce récital dédié au personnage d’Hamlet. Aux bouleversements initiaux sont venues s’ajouter de nouvelles péripéties menaçant la tenue du concert. La tour du guet qui devait initialement accueillir l’événement a pâti des conditions climatiques bien connues du nord de la France et s’est trouvée inondée. Qu’à cela ne tienne, la production a été reportée dans l’urgence au Théâtre Élisabéthain nouvellement construit aux abords du château, lieu non moins approprié à la tragédie shakespearienne. Dans le cadre enchanteur de cette construction en bois unique en son genre, Louise Pingeot et Didier Henry percent la grisaille. Louise Pingeot (re)donne vie au personnage d’Ophélia au travers des textes de poètes français, peignant au gré de sa voix des paysages sonores à la manière de John Everett Millais.
La soprano colorature délivre une performance déconcertante d’aisance, se pliant aux exigences techniques de l’œuvre d’Ambroise Thomas (qui sera restituée dans sa totalité le 23 octobre prochain en ces mêmes lieux). Pieds nus, elle s’abandonne à l’iconique scène de folie où la candide Ophélie scelle son destin funeste (“À vos jeux mes amis”). Les aigus et suraigus sont limpides et éclatants, agrémentés d’un vibrato tintinnabulant agréablement à l’oreille.
Le baryton Didier Henry met quant à lui l’amplitude de sa tessiture au profit d’un Hamlet amer et dément. De son timbre chaud et vibrant, il donne toute sa puissance dramatique à la folie vengeresse du personnage en s’autorisant des coups d’éclats compensant des aigus légèrement fuyants. Le récital s’achève par un duo lumineux entre les deux artistes et par l’image réjouissante d’une étreinte sur scène.
Joie et désespoir
Le soir même, le musée de Berck sur Mer ouvre ses portes à un public très restreint pour un second spectacle. Les équipes du festival ont à nouveau fait montre de leur adaptabilité face aux décisions sanitaires prises sur le tard. L’espace de galerie s’est ainsi converti en studio afin d’offrir une retransmission vidéo au grand public pour le lendemain du spectacle. Quelques privilégiés invités à cette captation assistent ainsi à un programme déclinant à souhait le motif du Liebestod, soit “la mort d’amour”, dont la paternité est attribuée à Richard Wagner dans Tristan et Isolde.
Pièce maîtresse de ce concert, l’opéra de chambre d'après “Harawi” d’Olivier Messiaen (dont nous rendions compte il y a peu dans un précédent article) se veut une réinterprétation déconcertante du mythe portée par le tandem électrisant Emmanuel Olivier (au piano) et la soprano Héloïse Koempgen. Cette dernière signe une performance onirique, en immersion dans la psychée d’une héroïne submergée par ses propres émotions. À mi-chemin entre mélodies du XXème siècle et lyrisme dramatique, sa capacité à passer d’un registre à l’autre impressionne, et ses qualités théâtrales capturent les spectateurs dans un récit dont les clés de lecture sont volontairement rendues mystérieuses par le compositeur-librettiste.
Au fil de la performance, elle égraine les onomatopées et formules mystérieuses, se faisant chamane en transe guidant le public dans les limbes de l’esprit humain. L’œuvre implique une gymnastique vocale, exercée avec brio par la cantatrice. Avec tonicité, elle exécute les excentricités du texte en prenant appui sur des consonnes rebondissantes. Ancrage et connexion à l’énergie du public lui procurent les appuis nécessaires pour prendre de la hauteur dans les aigus. La mise en scène signée Alain Patiès induit une forme de synesthésie. Les impressions visuelles diffusées en arrière-plan donnent une couleur émotionnelle au chant tantôt langoureux (“Bonjour toi, colombe verte”), tantôt frénétique (“Doundoun tchill” martelé comme une malédiction). De cette formule émerge une performance transcendantale, presque éprouvante tant l’échange entre le duo et l’audience est intense.
Entre péripéties sanitaires et météorologiques (relevées), Musica Nigella tient sa promesse d’une programmation sous le signe de la joie : celle de voir des artistes de talents illuminer la scène en ces temps sombres, celle de renouer avec des émotions procurées par l’art lyrique.