L’Impératrice Eugénie renaît de ses cendres centenaires à l’Opéra de Vichy
En 1920, Eugénie de Montijo mourait à Madrid, dans l’anonymat le plus total, après un long exil anglais. Ainsi disparaissait la dernière femme à avoir dirigé la France (lors d’une courte régence en 1870), la dernière Impératrice des Français, mais également une femme à la vie aussi riche que romanesque, d’une Restauration (la seconde) à une République (la troisième). Une existence faite « de splendeurs, de courage et de résignations » résume le metteur en scène Éric Rouchaud qui, en cette année symbolique, remet en lumière cette destinée historique dans un spectacle sobrement intitulé « L’Impératrice », co-produit par le Théâtre Impérial de Compiègne et l’Opéra de Vichy. Deux villes ayant une résonance particulière à l’évocation de la vie d’Eugénie : c’est au château de Compiègne, où elle séjourna régulièrement, qu’Eugénie rencontra son futur époux Napoléon III, et c’est à Vichy qu’elle vint avec lui en villégiature au milieu des années 1860 (un Chalet Impérial porte d’ailleurs toujours son nom dans la ville thermale).
Un spectacle placé sous le sceau de l’histoire et de la narration, donc, où l’art du chant et du conte se côtoient en pleine complémentarité au fil de l’enchaînement des différents tableaux. Le premier d’entre eux plonge d’ailleurs directement le spectateur dans un univers de récit : sur scène, comme un genre de mise en abyme comique, six comédiens-chanteurs font savoir qu’ils sont là pour raconter la vie de l’Impératrice sous toutes ses coutures. Lesquelles coutures sont bien soignées, d’ailleurs, dans les costumes signés Erick Plaza-Cochet. Robes style Empire, costumes et redingotes aux couleurs vives sont de sortie, et se remarquent d’autant plus dans un espace scénique très épuré, où se succèdent sobrement quelques éléments de mobilier (tables, chaises, voiles) au gré des besoins d’une action par ailleurs servie par de remarquables effets de lumière. Une lumière qui se fait toujours plus sombre à mesure que l’existence d’Eugénie défile : de sa naissance à sa rencontre avec son époux, jusqu’au faste de sa vie de femme de pouvoir, tout n’est que couleurs claires et lumières éclatantes. Après 1870 et la déchéance du couple impérial, de la courte régence d’Eugénie jusqu’à ses exils et ses deuils divers marquant la fin de sa vie, la scène devient plus sombre et austère, comme pour annoncer l’inéluctable issue.
De savoureuses (re)découvertes musicales
Mais puisque le spectacle est autant visuel que sonore, la musique, elle aussi, sert idéalement l’avancée de ce récit biographique. D’Emmanuel Chabrier à Federico Chueca (maître de la zarzuela), la trame musicale offre de redécouvrir des compositeurs ayant chacun laissé une empreinte dans leurs époques et leurs genres. C’est le cas de Charles Lecocq, de Marcel Lattès ou encore de Louis Beydts, compositeurs français actifs au tournant des XIX et XXè siècles, connus notamment pour leurs opérettes. Célèbre pour ses valses composées au milieu du XIXe, Olivier Métra est aussi remis en lumière, tout comme Ivan Caryll, compositeur belge d’opérettes et de comédies musicales (pour Broadway, début XXè). En sa qualité méconnue de compositrice, Hortense de Beauharnais, mère de Napoléon III, est aussi conviée à ce festin musical, avec l’une de ses pièces, « Partant pour la Syrie », devenue hymne national officieux lors du Second Empire. Enfin, citons aussi Étienne Nicolas Méhul, Théodore Semet ou encore Antonin Louis (chansonnier, auteur du savoureux chant anti-bonapartiste « Le sire de Fisch Ton Kan »), dont les musiques viennent s’immiscer entre celles de compositeurs (et d’œuvres) ayant davantage marqué la postérité : Bizet (Carmen), Verdi (Aïda), Massenet (Werther), ou encore Rossini (Tancredi).
Soutenus par les impeccables musiciens de l’Orchestre des Frivolités Parisiennes qui, sous la direction de Nicolas Chesneau, sont aussi accomplis dans l’art d’accompagner le chant que de faire valser (avec Émile Waldteufel) ou voyager (« Suite Africaine » de Paul-Jean-Jacques Lacôme d'Estalenx), les solistes, tout à la fois chanteurs, conteurs et comédiens, ne manquent pas d’attirer l’attention par leurs dispositions vocales. Jennifer Michel, attendue à l’Opéra de Montpellier en fin d’année dans Le Voyage dans la Lune, use d’un soprano expressif et généreux, émis avec conviction sur une large amplitude. Ahlima Mhamdi brille tout autant, avec sa voix de mezzo aux reflets satinés, aussi ardents dans les graves qu’étincelants à l’autre extrémité de la portée.
Sous les traits de Giuditta Pasta (l'une des nombreuses personnalités historiques qui se trouvent ici réincarnées, au même titre que Cocteau, Pasteur ou Mérimee), le grand air de Tancredi, "Di Tanti Palpiti" est remarquablement interprété, avec une voix sonore sur toute la ligne, et une diction idéalement incisive. Le mezzo de Sylvie Bedouelle présente aussi de chaleureuses intonations, l’artiste se distinguant par un total engagement porté dans l’incarnation de ses personnages. La jeune Annabelle Bayet est non moins pétillante, dans un registre plus léger, avec une voix de soprano au timbre clair et coloré.
Chez les hommes, la voix de baryton d’Aurélien Gasse se remarque par l’ardeur et la clarté de son émission, quand celle de Romain Dayez (qui fait office de conteur principal tout au long du spectacle) présente des traits non moins chauds, même si l’artiste se trouve presque toujours aux confins du chanté et du parlé. Énergique dans chacun des rôles qu’il incarne, le ténor Christophe Poncet de Solages possède une voix claire et projetée avec une aisance davantage prononcée dans le medium. Le grand air de Radamès, « Celeste Aida », est à juste titre très applaudi. Édouard Monjanel-Bensaid est lui un comédien-chanteur généreux et expressif, dont la voix, certes juste et soignée dans le phrasé, manque parfois en sonorité.
Au baisser de rideau, après deux heures et demie passées à refaire l’histoire dans l’Histoire, c’est une chaleureuse ovation qui vient saluer à la fois les artistes et les musiciens, mais aussi le souvenir d’Eugénie, qui trouve là une parfaite occasion, 150 ans après la chute de l’Empire, de revenir en pleine lumière.