Kévin Amiel rend hommage à Pavarotti : héritage solaire
L’orchestre s’installe tandis que la soirée est présentée. Les éloges pleuvent, d’abord sur le ténor et “monstre sacré” de l’art lyrique qu’a été Luciano Pavarotti, puis -et non des moindres- sur le jeune et prometteur ténor français, Kévin Amiel. Le parallèle est osé, la confrontation sans doute intimidante. Le public, en tout cas, est plein de curiosité, d’autant plus que le programme est audacieux : mélodies italiennes (Non t’amo piu, Tosti ; Funiculi Funicula, Denza ; La Danza, Rossini), airs belcantistes (“O figli...Ah, la paterna mano” Macbeth, Verdi ; “Una furtiva lagrima” L’Elisir d’amore et “Tombe degli avi miei” Lucia di Lammermoor, Donizetti), incursions véristes (“Che gelida manina” La Bohème et “E lucevan le stelle” Tosca, Puccini ; “E la solita storia del pastore” L'Arlesiana, Cilea), avec une exception française (“La fleur que tu m’avais jetée” Carmen, Bizet).
Bel hommage sur papier, en somme, à un artiste ayant défendu durant toute sa carrière un chant et une technique belcantistes, grand amoureux des mélodies napolitaines et du répertoire italien dans sa globalité. Si le choix de l’air de Don José peut surprendre, le ténor et le chef s’en expliquent juste avant l'exécution, rappelant les rares mais précieuses incursions de Pavarotti dans le répertoire français, moquant avec affection son défaut le plus audible dès qu’il s’éloignait de sa langue natale (“La flér qué tou m’abé yété”). Programme sur mesure donc, osant à la fois un regard mélancolique sur la carrière éblouissante du ténor modénois et cet autre regard, plein d’expectatives, sur la carrière entamée du ténor toulousain de 31 ans.
Le chef Benjamin Levy fait une entrée rapide sur scène, salue le public impatient et lance les premières mesures de l'intermezzo de Pagliacci (Leoncavallo). Plusieurs extraits musicaux viendront ainsi bercer le public entre les interventions du ténor, judicieusement choisis pour se mêler stylistiquement et émotionnellement aux airs interprétés. Se retrouvent ainsi des intermèdes d’opéra véristes (Pagliacci donc, mais aussi celui de Cavalleria Rusticana de Mascagni), les ouvertures d’opéra belcantistes (celle de Don Pasquale de Donizetti, le prélude de La Traviata de Verdi) ainsi qu’une reprise des thèmes finaux de Manon Lescaut dans le très émouvant et méconnu Crisantemi de Puccini. L’orchestre s'accommode plutôt bien de l'acoustique du lieu où le son est fortement réverbéré, et paraît en conséquence plus à l’aise dans les morceaux animés et abondants (Funiculi Funicula, La Danza) que dans les extraits plus intimistes (La Traviata, L'Arlesiana). Ses interventions sont toutefois toujours très nuancées, poétiques (Crisantemi, Carmen), épiques (Macbeth, Lucia di Lammermoor) ou quasi railleuses (La Danza, O sole mio) selon l’ambiance sonore qu’il convient de créer. Les tempi proposés par le chef parisien sont souvent rapides, parfois au détriment d’une souplesse et d’une longueur appréciables dans le belcanto. Néanmoins, le souci manifeste de ne pas couvrir la voix du soliste, de respirer avec lui et de le suivre respectueusement donne à voir une complicité artistique qui participe activement à l’enthousiasme du public.
Après Pagliacci, vient Kévin Amiel. Le ténor arrive sur la fin du morceau et entame sans plus attendre la mélodie Non t’amo piú de Tosti. La voix est immédiatement séduisante, malgré une réserve liée à la fois à la tessiture basse du morceau et à la prudence de l’artiste. C’est avec Macbeth que la brillance du timbre commence à s’étendre dans toute la cathédrale, portée par un emploi maîtrisé du souffle et un engagement dramatique évident. Le son est rond, concentré et lumineux et la puissance de l’instrument impressionne d’autant plus que l’interprète paraît se détendre en proportion. L’air de La Bohème trouve l’adhésion d’un public charmé, à la fois par les qualités vocales et la bonhomie qui émanent de l’artiste, souriant et blagueur, sachant sans peine se glisser d’un rôle à l’autre. Son Rodolfo, plein d’une sagesse ironique, laisse ainsi place à un Nemorino ému et candide, dont la fougue amoureuse trouve son expression la plus juste dans les modulations d’une voix pleinement maîtresse de ses effets. Suivent alors de grands moments de musique avec, notamment, une interprétation de l’air d’Edgardo (Lucia di Lammermoor) qui fait regretter l’absence de la deuxième partie de l’air (“Tu che a Dio spiegasti l'ali”) tant le rôle semble convenir à la jeunesse de la voix, pleine d’un héroïsme impulsif. Le programme s’achève avec un air de L'Arlesiana cher au ténor et subtilement chanté, révélant toutes les qualités de son instrument : nuances sans lourdeur, émotion sans fautes de goût, puissance sans tensions.
Si certains sons, notamment dans le registre grave, paraissent un peu rauques et si le médium grave est parfois peu audible, voire s'enroue par moments, la musicalité généreuse et la diction italienne impeccable de l’interprète parviennent toujours à apporter aux divers morceaux une lecture personnelle savamment ciselée. En témoigne la longue ovation du public : la filiation revendiquée semble de fait justifiée, tant a été manifeste l’amour porté au répertoire italien durant ces heures de partage.
Le ténor revient et offre en bis deux mélodies “signatures” de Pavarotti : “O sole mio” (di Capua/Mazzucchi) et “Non ti scordar di me” (de Curtis), chantés avec un timbre solaire qui, par moment, se mêle au souvenir d’une autre voix ensoleillée. Le public se lève d’un commun accord pour mieux témoigner de sa gratitude.