Talents Adami Révélations Classiques : “Belle nuit” pleine de promesses
L’ensemble instrumental fait son entrée sous quelques applaudissements engageants du public. Fraîchement créé par Amaury Viduvier (Talent Adami Révélation Classique 2015) en 2020, il est constitué de jeunes musiciennes et musiciens, tous lauréats de concours internationaux et membres de grands orchestres francophones. Leur entente est communicative, surtout dans une petite salle où l’impression de pouvoir toucher les instruments avec les yeux est parfois très forte. Ils accompagneront les 8 artistes interprètes durant la soirée, sans chef, sans autres directions que celles proposées par le premier violon, Yoan Brakha, et par les artistes eux-mêmes, que ce soit sur le vif où durant leur travail préparatoire. Le son est riche et nuancé, les interventions des divers pupitres très marquées, parfois au détriment du soliste dont le timbre se perd dans la générosité bouillonnante de l’ensemble. Néanmoins, le souci de cohésion et le plaisir du partage, le jeu de question-réponse entre le soliste et ce soutien sonore, se passant les phrases au gré des partitions, est toujours manifeste et réjouissant.
Marianne Croux (soprano), Lise Nougier (mezzo-soprano), Sahy Ratia (ténor) et Timothée Varon (baryton) sont les solistes lyriques ce soir. Globalement très appréciés par un public qui n’hésite pas à communiquer son enthousiasme, ils présentent deux airs chacun et deux duos, respectivement “Un di felice eterea” (La Traviata, Verdi) et “Il core vi dono” (Cosi fan tutte, Mozart).
Marianne Croux possède un instrument puissant et d’une luminosité presque blanche. L'émission est généreuse, le corps engagé et expressif. L’air du Cours la Reine (“Suis-je gentille ainsi ?” Manon, Massenet), très joliment chanté, lui sied toutefois moins que celui de Nedda (“Stridono lassù” I Pagliacci, Leoncavallo), véritable moment de théâtre où les couleurs variées de sa voix offrent un portrait tout en nuances du personnage, férocement avide de liberté.
La mezzo-soprano Lise Nougier trouve l’adhésion du public avec l’air et la cabalette “Nacqui all’affanno...non più mesta” (La Cenerentola, Rossini), chanté avec aisance, offrant à l’écoute une voix fruitée aux aigus souples et brillants. Si le grave et le bas médium sont parfois couverts par l’orchestre, notamment dans le premier air proposé -très grave- extrait de La Grande-Duchesse de Gérolstein (“Ah ! Que j’aime les militaires” Offenbach), la voix se déploie petit à petit durant la soirée, au gré du souffle, révélant alors toute la richesse harmonique de l’instrument. De plus, la chanteuse a pour elle un port noble avec lequel elle n’hésite pas à jouer, à la fois pour faire rire en esquissant une Duchesse espiègle et lubrique et pour donner à La Cenerentola toute sa dignité recouvrée.
Le ténor malgache Sahy Ratia paraît moins à l’aise scéniquement que ses collègues féminines. La voix, claire, est émise très naturellement mais manque de
legato et de rondeur. Si l’emploi intelligent du falsetto (voix de fausset) est apprécié, notamment durant le duo très musical de La Traviata, le chanteur se tend souvent dans l’aigu, émis pourtant avec facilité. L’articulation excessive du français empêche à la Sérénade de Henri Smith (La jolie fille de Perth, Bizet) de se déployer tout à fait et certaines voyelles (le “A” notamment), trop larges, ont tendance à segmenter la phrase musicale. Malgré cela, son interprétation envolée de La Danza (Rossini) est chaleureusement accueillie par un public conquis.
Enfin, le baryton Timothée Varon fait une première apparition remarquée en interprétant l’air vif et sombre d’Oreste (“Je t’ai donné la mort...Dieux qui me poursuivez” Iphigénie en Tauride, Gluck). Cependant, et si les qualités scéniques du chanteur sont manifestes, la voix est à de nombreuses reprises couverte par l’ensemble, notamment dans son deuxième air (“Hai gia vinta la causa” Les Noces de Figaro, Mozart). De plus, le timbre apparaît blanchi dans le haut médium comme si l’interprète, pris par la situation dramatique de ses rôles, poussait un peu trop systématiquement l’instrument aux limites de ses moyens. Ce défaut transparaît d’autant plus que, pour émettre le grave et le bas médium de la tessiture, l’artiste est souvent contraint de plier la tête en appuyant sur la zone laryngée, ce qui a une incidence directe et perceptible sur la franchise du son. C’est sans doute dans le duo de Mozart avec la mezzo-soprano que l’artiste convainc le mieux : la voix trouve alors de belles couleurs, libérées et éclaircies.
Les quatre instrumentistes solistes sont extrêmement appréciés du public eux aussi, très convaincants à la fois dans l’exécution et le choix de leurs morceaux. Si Rafael Angster semble peiner avec l’anche de son basson et, en conséquence, ne parvient pas à se détendre tout à fait durant l’Andante et Rondo Hongrois de Weber, Raphaël Jouan impressionne tout autant par la dextérité et la beauté de sa gestuelle que par le jeu nuancé de son violoncelle dans la Rhapsodie Hongroise de Popper. Rodolphe Menguy offre une interprétation virtuose du 3e mouvement du Concerto pour piano et orchestre n°1 en ut Majeur de Beethoven, tout comme le violoniste Alexandre Pascal avec Nigun Improvisation de Bloch, où il parvient à créer une atmosphère évocatrice et puissante, poussant le public à tendre l’oreille jusqu’à la dernière note. Le pianiste, le violoniste et le violoncelliste se retrouvent pour un extrait du Trio avec piano de Ravel (le pantoum, deuxième mouvement), exécuté presque avec hargne, se détachant d’une lecture plus romantique de l'œuvre.
Les solistes lyriques reviennent à la fin pour interpréter avec le pianiste et l’ensemble instrumental la célèbre barcarolle d’Offenbach (Les Contes d'Hoffmann), arrangée pour quatre voix. Le public se lève pour applaudir ce dernier moment poétique, où les mots ont comme une résonance amère qui reste nouée dans la gorge : “Belle nuit, ô nuit d’amour” c’est en effet l’une des dernières nuits musicales avant un certain temps.