Heureuse et comique reprise de L’Heure espagnole à l’Opéra de Lyon
En 2016, l’Opéra de Lyon offrait l’opportunité à l’illustrateur-animateur Grégoire Pont de concevoir, avec le metteur en scène James Bonas, l’univers scénique de L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel (1875-1937). Suite aux succès rencontrés auprès de tous les publics, de tous âges et de tous pays, l’opération fut réitérée en 2018 avec la première œuvre dramatique du même compositeur français, L’Heure Espagnole. Le concept scénographique reste le même : hormis quelques accessoires blancs et très simples, un grand écran de tulle tient lieu de décor et l’orchestre, présent sur scène, se distingue à travers (dans une séparation compatible avec les mesures sanitaires, raison pour laquelle cette production a été avancée au début de saison).
(nos précédents comptes-rendus de ces mises en scène : L'Heure espanole, L'enfant et les sortilèges)
Lors du prologue, la musique et les images s’éveillent progressivement, emportant doucement le spectateur dans un univers absolument poétique. C’est par une grande minutie que les chanteurs interagissent avec les animations projetées, jouant ainsi avec la poésie des illustrations. Le grand atout de cette mise en scène est d’accompagner très fidèlement la musique. Tout comme la partition de Ravel, l’univers scénique est constamment réfléchi, ne laissant rien au hasard, plein de détails tout en restant sobre. Mis à part quelques moments où une couleur prédomine pour suggérer un autre univers, grâce aux lumières de Christophe Chaupin, c’est l’Orchestre de l’Opéra de Lyon qui colore les dessins animés en noir et blanc. Tout comme la direction musicale de Vincent Renaud, les artistes concepteurs accompagnent avec finesse, se mettant juste assez en retrait. L’intrigue « espagnolesque » est alors piquante de subtilités alors qu’elle semble se suffire à elle-même. Pour ne rien gâcher à cette apparente sobriété, les costumes imaginés par Thibault Vancraenenbroeck se résument surtout à des oreilles d’animaux, chaque personnage et leur caractère étant ainsi simplement identifiables.
Sur le plateau, la déclamation prosodique de Ravel n’empêche toutefois pas de belles lignes mélodiques qui nécessitent une bonne maîtrise vocale et musicale. La belle découverte de la soirée est la mezzo-soprano Florence Losseau, qui interprète la sensuelle et voluptueuse chatte Concepción, femme insatisfaite se plaignant de rester fidèle et pure. La chanteuse est aussi claire de timbre que de diction, faisant également preuve d’une fine agilité. Son premier amant, le lapin-poète Gonzalve, qui finalement ne se montre pas très porté sur la chose puisqu’il préfère l’amour des mots et des rimes, est chanté par le ténor Quentin Desgeorges, volontairement exagérément lyrique. Il sait aussi se montrer émotif lors de son air « En dépit de l’inhumaine, je ne veux quitter… ». Le muletier Ramiro, à l’allure et à la force du taureau, du baryton Raoul Steffani est plus charmant que gauche. Il est même touchant dans l’air « Voilà ce que j’appelle une femme charmante ! ». Affublé de grandes oreilles, d’une queue en tire-bouchon et d’un ventre imposant, le financier Don Iñigo Gomez n’est pourtant pas du tout porcin dans l’incarnation du baryton Christian Andreas. Son chant fait même entendre un timbre chaleureux et élégant. Le naïf horloger Torquemada n’offre que quelques interventions au ténor Etienne Duhil de Bénazé, qui laisse toutefois entendre une interprétation soignée.
Les chanteurs finissent par se démasquer pour la morale finale de cette comédie-bouffe, qui à ce moment se rapproche bien davantage, par la musique et les projections colorées, d’une comédie musicale de Broadway, ultime référence parmi les nombreuses de la soirée. Le spectacle ne dure qu’une petite heure, une durée certainement idéale pour les plus jeunes qui, comme les adultes, montrent leur bonheur en riant de bon cœur et en applaudissant chaleureusement les artistes.