Concert Hommage à Beethoven par les Académiciens de l'Opéra de Paris
Si l'Opéra Bastille et le Palais Garnier sont encore en travaux, la maison programme des concerts ailleurs que sur les grandes scènes, notamment grâce à son Académie. Des voix et des instrumentistes encore jeunes qui sont justement là pour (parfaire) leur apprentissage, découvrir et faire redécouvrir un répertoire. L'hommage qu'ils rendent à Beethoven pour son 250ème anniversaire est ainsi d'une grande richesse avec un quatuor à cordes, des Lieder (piano-chant en allemand) mais aussi des mélodies dans d'autres langues et avec d'autres accompagnement.
Tobias Westman porte le Lied romantique (le cycle An die ferne Geliebte-À la Bien-aimée lointaine) jusqu'à la tendresse et la force, toujours avec élégance. La voix fort couverte est riche en graves pour un ténor, intense et dense dans la lenteur concentrée, vibrante et s'animant ensuite d'un phrasé toujours lyrique, tonique et articulé. La projection et le volume enchaînent les Lieder sans interruption, renforçant la cohérence de ce cycle, qui comme son nom l'indique est littéralement cyclique (le premier et le dernier Lied se referment sur "un cœur reçoit ce qu'un cœur amoureux lui a voué"). Le chant manque toutefois des sommets et de la masse vocale que l'Académie d'un Opéra a vocation à lui permettre de déployer (en l'état, le seul grand crescendo -final- que tente le chanteur est étouffé). Il était pourtant lancé par un piano (tenu par Félix Ramos) délié à la force d'un Hammerklavier.
À l'inverse (sur 4 Gellert Lieder, du nom du poète), Aaron Pendleton a un médium fort aigu pour une voix de basse, mais ne maîtrise pas encore les grands élans vocaux qu'il demande à son timbre certes riche et ample. Il fait son effet impressionnant en atteignant les graves de la partition mais craque aussi les aigus crescendo.
Alexander York également (dans des Lieder de Goethe et Matthisson). Le baryton est certes plus lyrique dans les intentions de déploiement et dans l'attitude scénique quoique répétitive dans l'ouverture et le recueillement des bras et des mains (même pour chanter le printemps et la nostalgie). De fait, il interprète de la même façon tous ces Lieder et même la plupart des strophes qui deviennent dès lors répétitives (seyant toutefois à la pompe ironique de La Chanson de la Puce, du Faust). La voix n'est pas placée dans le soutien et dans l'appui, elle hésite et bouge de fait constamment sur la justesse (hormis sur quelques crescendi nourris). L'aigu est plafonné très en-dessous de la note, alors que le reste de l'ambitus est constamment attaqué par le haut -de la fréquence et de l'appareil phonatoire- au lieu de le faire sur la base et dans la résonance.
Le programme offre également des mélodies russes, écossaises et irlandaises (également composées par Beethoven) ! La soprano Kseniia Proshina chante donc dans sa langue maternelle et dans celle de ses mélodies aussi : les airs sont beaux mais un peu clichés, l'occasion toutefois de déployer des couleurs chaudes dans le corps de voix et d'un aigu vibrant puis sautillant mais perdant un peu son ancrage.
Le violon et violoncelle l'accompagnent aussi attentivement avec Felix Ramos en russe qu'avec Olga Dubynska en anglais. Soutenu par ce riche trio instrumental, le ténor Kiup Lee emmène un riche trio vocal vers un chœur de marins. Kiup Lee reste un peu serré dans le médium, mais la tension est aussi celle d'une intensité et d'un appui de projection qui lui permet de passer du médium à l'aigu. Jeanne Gérard vit aussi pleinement le chant qu'elle individualise les phrases textuelles et les phrases musicales. L'appui a un riche potentiel lyrique avec les couleurs verdoyantes de l'Irlande. Elle ne chante pas littéralement "le plus doux garçon" et "la jolie fille", mais aussi l'esprit de "sottises, malheur" et "larmes amères". Son souffle léger amoindrit un peu la diction mais l'intensité est constante à travers les nuances et registres.
Niall Anderson a la voix qui bouge dans une vibration un peu tremblante par une attaque un peu trop haut. La voix s'assied toutefois dans la nuance forte et il s'adresse alors (seul à le faire) à tout l'hémicycle de spectateurs d'autant que la voix tourne bien.
L'interlude instrumental dans ce concert rappelle cependant qu'une fois encore certains choix de morceaux sont inadaptés à des musiciens en formation. Un sommet tel que la Grosse fugue (l'une des œuvres ultimes du maître romantique) impose une œuvre de l'extrême maturité expressive et technique à de jeunes interprètes qui semblent au tout début de leur apprentissage maison et ensemble. Une expérience cesse de fait d'être formatrice lorsqu'elle n'est comme ce soir que notes fausses et décalages rythmiques. Dans ce morceau, avant que les voix ne reprennent leurs voies.