"Revenir à nous", la rentrée de l'Ensemble intercontemporain à la Philharmonie de Paris
Le chef, Matthias Pintscher en semble tout ému, le public autant. Le programme est riche en styles musicaux mais aussi en affects et sensations succédés, témoignage intense et multiple de ces régions mentales souvent intimes, parfois indicibles que la musique est seule à traiter à sa manière. La diversité, parfois même les contradictions d’un monde complexe se déroulent et animent les esprits : de la méditation retenue (Quatre pièces pour trompette de Giacinto Scelsi) au cauchemar intérieur (Professeur Bad Trip : Lesson 1 de Fausto Romitelli), de la douceur teintée de citation postmoderne (Sentimental Shards de Tyshawn Sorey) à l’intimité ensorcelée (Dolce tormento de Kaija Saariaho), des vagues d’éléments menaçants (The Flood de Toshio Hosokawa) à l’expression absolue du mystère (Six pièces op. 6 de Webern), de la délicatesse rêveuse (Beyond II de Matthias Pintscher) au kitsch joueur et cruel (Hommage à Klaus Nomi de Neuwirth).
Revenant à nous avec ce très bel éventail de sensations actuelles et d’expressions multiples d’un sujet inquiet et souvent hanté, l’Ensemble intercontemporain montre, si besoin était, qu’il est plus que jamais contemporain. La dernière œuvre, l’Hommage à Klaus Nomi , sous la forme fragmentaire de cinq chansons pour contre-ténor et petit ensemble, est interprétée avec maestria par Jake Arditti qui reprend les musiques de l’étonnant Klaus Nomi. Interprète de nombreux opéras baroques mais aussi de créations vocales, Jake Arditti sait emplir de vitalité une musique qui risque à tout moment de se fracasser sur les récifs du kitsch. La compositrice, Olga Neuwirth, a repris et arrangé ces airs dans une instrumentation qui balance entre la distance et la cruauté, provoquant le malaise face à ces moments musicaux qui semblent alors comme doublement déformés. Ce faisant, la compositrice demeure fidèle à la figure ambivalente de Klaus Nomi, personnage à la fois créatif, extrême et portant une part d’utopie. Jake Arditti, sans imiter le personnage de Nomi, trouve un timbre vocal un peu décalé, comme une voix de music-hall à plusieurs registres, qui correspond assez bien aux trouvailles de l’instrumentation d’Olga Neuwirth).
Au sein de la richesse de ce programme de retrouvailles, les pièces de Webern, datant du début du XXe siècle, ont quelque chose de fondateur par l’intensité de leur articulation. Elles sonnent, pour le coup, de toute la beauté maîtrisée d’une écriture devenue comme « classique ». Comme les êtres, les œuvres changent avec le temps.